Article paru dans STUDIOCINÉLIVE n°82, en septembre 2016


Nathalie BAYE
Le roman d’une actrice

Par Thierry Cheze.

Truffaut, Pialat, Godard, Tavernier, Beauvois, Dolan... L'héroïne de Juste la fin du monde feuillette les pages marquantes de son album de souvenirs, riche de rencontres fructueuses.

 

LA NUIT AMÉRICAINE, DE FRANÇOIS TRUFFAUT
« Venant de la danse et du Conservatoire, j'ai longtemps cru le cinéma réservé à des créatures éblouissantes. Et puis Suzanne Schiffman, l’assistante de Truffaut, m’a repérée dans la rue. À notre premier rendez-vous, François m’a indiqué que je n’étais pas le personnage de script-girl qu'il cherchait. Mais il m'a pourtant demandé de revenir le lendemain, où il m'a engagée avant de préciser que j'allais devoir porter des lunettes. Ce qui m'a gâché le plaisir, car il a trouvé une paire qui m'a fait une tête impossible ! Billy Wilder a même cru que Truffaut avait engagé sa vraie scripte sur le film. N'y connaissant rien, j'étais agacèe qu'il n’ait pas vu que j’étais une actrice ! Moi qui ne pensais pas au cinéma, je n’ai donc pas réalisé tout de suite ma chance de commencer ma carrière avec un film qui parlait d'un tournage de cinéma. Et j’en suis tombée amoureuse. »

 

LA GUEULE OUVERTE, DE MAURICE PIALAT
« J’ai été heureuse de travailler avec Maurice. Même s'il s'est comporté très durement avec Philippe Léotard, pourtant magnifique. Et comme j'aimais Philippe, le tournage fut compliqué. Maurice était un excellent acteur. Or la plupart du ses films étaient autobiographiques et je crois qu'il n'a jarnais aimé être interprété par qui que ce soit. Seul Gérard [Depardieu], doué et malin comme il est, a réussi ce tour de force. »

 

SAUVE QUI PEUT (LA VIE), DE JEAN-LUC GODARD
« J’ai démarré ma carrière sur les chapeaux de roue, avent de connaître un coup d'arrêt, n’enchaînant plus que de petits rôles d’un ou deux jours. Comme ce métier fonctionne sur le désir des autres, on a vite l’impression de ne plus exister. Puis j’ai retrouvé Truffaut avec La chambre verte, et tourné avec Godard l’année suivante. Travailler avec Jean-Luc est très simple. Il vous dit très concrètement, où vous placer, où regarder, et les gestes à faire. Il ne rentre jamais dans la psychologie des personnages. La découverte du fillm m'avait vraiment bouleversée, car Jean-Luc est le plus grand voleur qui soit. ll réussit à saisir des choses dont on n'a absolument pas conscience. »

 

UNE SEMAINE DE VACANCES, DE BERTRAND TAVERNIER
« Il s’agit de mon premier rôle principal. Je me souviens de mon angoisse à l'idée que toute l'équipe en ait marre de me filmer au bout d'une semaine. Et puis, je me suis apaisée. Il faut dire que Bertrand est un gourmand. Dans la vie comme sur un plateau. Il aime les acteurs. Il est client de tout ce qu'on peut proposer. Parfois même trop. Travailler avec lui, ce sont des petites vacances. Ce rôle de prof m'avait pourtant un peu terrorisée parce qu'il était loin de moi. J'ai quitté l'école à 14 ans, aucun prof ne m'avait jamais fait rêver... Jouer une cosmonaute asiatique m'aurait alors sans doute plus parlé ! »

 

NOTRE HISTOIRE, DE BERTRAND BLIER
« J’ai travaillé pour la première fois avec Bertrand en deuxième année de Conservatoire, dans une pièce qui fut un bide retentissant, mais m'a permis de rencontrer Gérard [Depardieu], alors inconnu. Notre amitié ne s'est jamais démentie par la suite. Gérard déborde dans tous les sens, mais de bonnes choses. J'aime aussi énormément Bertrand et son univers invraisemblable. Même si travailler avec lui n'est pas si simple, car comme je le lui ai dit un jour : « T'as une barbe, des pipes et des couilles, et tu veux que j'aie les mêmes intonations que toi ! » On s'est retrouvés pour Beau-père, puis Notre histoire, où je me suis vraiment bien entendue avec Alain Delon, partenaire magnifique présent sur tous les contrechamps pour vous donner la réplique. J'ai une infinie tendresse pour lui. Sous son allure très sûre de lui, il est extrêmement angoissé. J'aimais m'en moquer gentiment et il a énormement d'autodérision ! ll m'a fait beaucoup rire et est vraiment très différent de ce qu'on peut imaginer. »

 

UN WEEK-END SUR DEUX, DE NICOLE GARCIA
« Ce film surgit après une de ces périodes creuses ou j'ai décliné quelques projets importants auxquels je n'accrochais pas, par peur de perdre le désir pour mon métier. ll faut prendre garde à ne pas remplacer ce désir par l'argent qu'on peut gagner. On atteint vite un point de non-retour. Et puis est arrivé Un week-end sur deux. Ce rôle d'actrice dont la carrière vit un moment de creux m'a parlé. C'est l'un des premiers où j’exprimais autant de violence, alors que jusqu'ici on me confiait surtout des personnages de femmes rassurantes dans lesquelles on pouvait s’identifier. Cela a donné des idées à d'autres. Sans Un week-end sur deux, je n’aurais pas eu des propositions de comédies ou, à l'inverse, de films sombres avec des femmes dangereuses et antipathiques. »

 

VÉNUS BEAUTÉ (INSTITUT), DE TONIE MARSHALL
« J’ai adoré ce rôle pour ses deux facettes antagonistes. Comme toutes les femmes qui travaillent dans la beauté, Angèle se doit de créer autour d'elle une ambiance toujours positive, alors que sa vie est un immense chaos. Tonie est une battante à qui je suis très attachée. Mais aussi une femme anxieuse qui transmet son angoisse. Alors non, le tournage n'a pas été serein. Mais je m'en moque. L’essentiel, c'est toujours le scénario et le rôle. »

 

UNE LIAISON PORNOGRAPHIQUE, DE FRÉDÉRIC FONTEYNE
« Avec Sergi [Lopez], on a immédiatement aimé travailler ensemble. Surtout avec ce scénario en or, qui joue avec l’imagination du spectateur. Et notamment ce fameux fantasme dont il est question tout du long sans qu'on sache de quoi il s'agir. On m'a souvenr demandé quelle en était la nature. J'ai fini par trouver la réponse : « C’est le vôtre ». Mais en vrai, Frédéric n'a jamais levé le mystère. »

 

ARRÊTE-MOI SI TU PEUX, DE STEVEN SPIELBERG
« Spielberg a fait passer des essais filmés à cinq actrices françaises. Être choisie fut une immense joie, mais l'exercice n'a pas été simple car Steven m'avait très tôt expliqué qu'il n'y aurait pas de répétitions : il tenait à tourner au rythme du personnage interprété par Leonardo Di Caprio, à 4000 à l'heure. Exercice délicat quand on ne joue pas dans sa langue... Sur le plateau, Steven m'a posé beaucoup de questions sur François [Truffaut]. Et François m'avait souvent parlé de lui. Après avoir joué dans Rencontres du troisième type, il avair été marqué par le fait d’attendre très longtemps entre les prises sur ce type de gros films. ll avait d'ailleurs demandé à Suzanne Schiflman de lui envoyer une machine à écrire pour travailler un scénario pendant ces moments-là. »

 

LE PETIT LIEUTENANT, DE XAVIER BEAUVOIS
« Beauvois est quelqu’un de libre, et il est doté d'une très grande imagination. Pour le rôle du chef de groupe des policiers, il a longtemps attendu la réponse d'un acteur qui n'est jamais arrivée. Il a d'ailleurs dû y avoir un malentendu, car il s'agissait de Jacques Dutronc. Or je suis très amie avec lui et je suis certaine qu'il l'aurait fait... À partir du moment ou le rôle devenait féminin, Xavier a changé des choses mais pas le fond : l'alcoolisme du personnage qui reprend son travail. J'ai connu quelques personnes qui buvaient, ça aide... Il m'est arrivé de faire des entraînements techniques, mais ce rôle était si bien écrit que je m'en suis naturellement imprégnée. Vous pouvez multiplier les exercices en amont, si le rôle est mal écrit et le réalisateur pas très bon, ça ne marchera pas ! »

 

L’AFFAIRE SK1, DE FRÉDÉRIC TELLIER
« J’avais adoré travailler avec Frédéric sur Les hommes de l'ombre. C'est un bosseur qui connaît bien les acteurs et sait leur parler, alors que tant de cinéastes en ont peur. Cela me rappelle cette phrase de François Truffaut, quand je lui avais dit que j'avais aimé son travail avec ses comédiens sur Le dernier métro : « Vous savez bien que je ne sais pas diriger les acteurs, je les aime. » Sur le papier, je n'étais guère attirée par cette histoire de tueur en série. Mais j'ai eu envie daccompagner Frédéric sur son premier long métrage. Je l'ai d'ailleurs souvent fait. Avec Nicole Garcia, Thierry Klifa, Martial Fougeron, Antoine Cuypers... Il n'y a rien de plus merveilleux que d'assister à la naissance d'un metteur en scène. »

 

JUSTE LA FIN DU MONDE, DE XAVIER DOLAN
« Quand Xavier m'a proposé Laurence Anyways, j'avais déjà vu, et aimé, ses deux premiers films, J'ai tué ma mère et Les amours imaginaires. J’ai vu arriver ce tout jeune homme très sérieux qui m’a présenté son scénario en me précisant que le rôle de la mère n'était pas énorme mais qu'il comptait énormément pour lui. Dès lors, on a commencéà beaucoup se voir. Je lui trouvais un charme, une intelligence et un talent fous. Mais je redoutais qu'il ait un comportement de petite star sur le plateau. C'est exactement le contraire, mais il fait vraiment tout ! Ce n'est pas une légende ! Jusqu'aux costumes : le jour de mon arrivée sur le plateau, il m'a habillée comme une poupée Barbie. Une amitié s'est installée entre nous. Il m'avait dit qu'on retravaillerait ensemble. Mais il est bien trop intelligent pour m’avoir parlé trop tôt de Juste la fin du monde. Le jour où il l'a fait, il était encore plus excité de me proposer ce film que moi d'apprendre la nouvelle. Ça m'a émue aux larmes. Sur le plateau, Xavier est resté fidèle à ce qu’il est : même s'il bosse beaucoup en amont, il crée avec les acteurs. Parmi mes partenaires, Marion Cotillard était celle que je connaissais le plus. De toutes les actrices de sa génération, je la considère la meilleure depuis bien longtemps. J'avais une seule crainte : qu'on renvoie ce casting à la gueule de Xavier. La projection de presse cannoise a d'ailleurs été agitée. Quand j'ai dîné avec lui le lendemain de la projection officielle, il était accro à son portable, lisant toutes les critiques négatives. C'est fou de voir comment la maturité dont il fait preuve sur un plateau peut s'envoler dans ces moments-là. »