Article paru dans CAUSETTE n°64, février 2016

NATHALIE BAYE, LES TRAVERSÉES DU SUCCÈS

Quatre-vingts films et quarante ans de carrière. Avoir travaillé avec les plus grands ne l’empêche pas de donner leur chance aux jeunes réalisateurs. Nathalie Baye est àl’affiche de Préjudice, premier film d’Antoine Cuypers. À la soixantaine, elle a toujours le même plaisir àjouer. Pas blasée. Jamais. Aujourd’hui super bankable, elle a trop bien connu le creux de la vague pour ne pas mesurer sa chance. Si Nathalie Baye est une mégastar, elle n’en présente aucun symptôme.

(Par Sarah Gandillot)

Le site du magazine Causette

 

« Vous savez qui m'a fait connaître Causette ? C'est Corinne Masiero ! » s’enthousiasme-t-elle dès qu’on a posé une fesse. « Elle avait acheté le magazine, dont elle est une fidèle lectrice, pour le train. Je lui dis : "Tiens, c’est quoi ce journal ?" Elle me le tend en me conseillant de le lire. Ce que j'ai fait. Eh ben dis donc, ça, c’est atypique ! » On ne boude pas notre plaisir devant le compliment. On le boude encore moins quand Nathalie Baye balance allègrement, sans complexes, sur les autres magazines féminins, elle qui en a pourtant peuplé mille fois les pages. « Ils sont obsédés par les fringues et les sacs que personne ne peut s’offrir, le tout porté par des gamines maigrissimes de 17 ans. Une négation absolue de la femme, en définitive. » Ce n’est pas nous qui dirons le contraire. Elle est habillée d’un jean très simple et d’un petit pull gris, mince comme un fil. La Baye ne fait pas de chichis. « Elle est très peu dans le star-système. Ce n’est pas quelqu’un qui triche. Elle est franche, pas très névrosée et assez peu narcissique. Avec elle, on sait toujours où on en est », confirme son grand ami de toujours Dominique Besnehard, le célèbre ex-agent devenu producteur. Elle se plie à l’exercice de l’interview mais, en effet, on sent bien qu’elle préférerait deviser gaiement – « Et comment ça marche, alors, Causette ? » – que de parler d’elle. Elle le fait quand même, pour nous. Sans lassitude.


DES DÉBUTS DE DANSEUSE
L'enfance de Nathalie se déroule sur le pavé parisien. En toute liberté. « Mes parents étaient peintres. C'était des marginaux. Des rêveurs... Pas très bosseurs, je trouve, rétrospectivement. Ils étaient assez malheureux, à dire vrai. Ce n'est pas facile de ne pas être reconnu. Ils avaient une grande qualité, en revanche : ils étaient très drôles », admet-elle. Le père fait des petits boulots pour faire vivre la maîsonnée, la mère publie un roman, sous pseudo, La Guerre à côté. « Assez réussi, du reste, juge Nathalie Baye. Tous mes amis m’enviaient mes parents, et moi j’enviais les familles de mes amis, où tout était bien organisé et normal. » Un avantage pourtant : lorsqu'il s'avère que la petite Nathalie est dyslexique, et, de ce fait, très mauvaise élève, ses parents ont l'intelligence de la laisser rêver.
À 14 ans, elle décide de devenir danseuse professionnelle et s'inscrit à l'école de danse de Monaco, où elle suit les cours de la Russe Marika Besobrasova. L’école de la rigueur, pour ne pas dire de la souffrance. Pendant ce temps-là, ses parents s'engueulent : « J'ai mis ma crise d’adolescence au placard ! Ils ne m’ont pas laissé la possibilité de la vivre. Au moment où j’aurais dû faire ma crise, ils ont fait la leur, à retardement. » Ils finissent par se séparer. À 17 ans, Nathalie plie bagage. « J'ai un petit frère qui a douze ans de moins que moi... Du coup, nous sommes deux enfants uniques. » Elle part danser à New York pendant un an, puis revient en France, s'inscrit au Cours Simon et entre au Conservatoire, dont elle sort avec le deuxième prix de comédie. C'est le théâtre qu'elle vise, et le cinéma qui l’attrape. Ou plutôt, François Truffaut. Elle le croise par hasard, en 1973, sur un bout de trottoir alors qu'elle sort d'un déjeuner avec son agent. Il demande à la revoir pour le rôle de scripte dans La Nuit américaine. Elle ne convient pas. Il lui colle d'affreuses lunettes sur le nez. Elle a le rôle. Celui qui lance sa carrière.

ATTIRÉE PAR LES « BAD BOYS »
Elle est l’une des rares à ne pas avoir cédé aux avances de Truffaut, l’homme qui aimait les femmes. En revanche, les deux se sont marrés comme des baleines. « On piquait des fous rires sans nom. L‘assistante de Tru?aut était obligée de nous séparer », se souvient Nathalie Baye. L’humour : l'une des grandes qualités de la comédienne. Tous ses proches en conviennent. « Qu'est-ce qu'on se marre avec elle ! » dit Dominique Besnehard. « Nathalie, c'est un mélange de grande rigueur et de fantaisie. Elle a vraiment une araignée au plafond » assure la réalisatrice Tonie Marshall. « Même dans les moments les plus tristes, je suis capable de faire marrer tout le monde. Je trouve que l’humour est une arme absolument géniale. J'arrive même à me faire rire toute seule ! » avoue Nathalie Baye. Après Truffaut, il y a Pialat, Sautet, Cavalier, Godard aussi qui la fait jouer dans Sauve
qui peut (la vie)
. Les plus grands...
C'est à cette époque qu'elle rencontre, sur un plateau de théâtre, le comédien Philippe Léotard, avec lequel elle vivra dix ans avant que ses addictions multiples ne découragent Nathalie de tenter de le sauver. Alors surgit dans sa vie, comme la foudre, Johnny Hallyday. « Elle a été fascinée par la bête. Cette histoire, c'était un peu sa crise d'ado à retardement, raconte Dominique Besnehard. Quand elle l'a rencontré, il était au plus bas professionnellement. C’est elle qui lui a fait rencontrer France Gall et Michel Berger et qui a suggéré que Berger lui écrive un album. Elle a un petit côté Pygmalion avec les hommes. » Et une petite attirance pour les êtres qui flirtent avec les limites ? « Oui les types un peu borderline, un peu bad boys, avoue-t-elle avec un sourire complice. Mais j'ai rectifié le tir depuis. Je me suis un peu calmée. » On lui connaît pourtant une liaison avec Jean-Louis Borloo, dont le patronyme ne rime pas avec sobriété... « J’ai compris plus tard pourquoi j'allais vers ce genre d'individus. Petite, j'étais plus la mère de ma mère que l’inverse... Alors j'ai reproduit ça avec les hommes, j'avais besoin de les soutenir. »
Ce qui lui plaît chez Johnny à l'époque ? « Son absolue simplicité. Il est désarmant, vous savez. Tout le contraire de ce qu'on pourrait penser. Il est très timide, charmant, et peut s’avérer très drôle. On a bien ri ensemble. » Et de prendre sa défense : « C'est quelqu'un pour qui j’ai beaucoup d'admiration. Je suis contente qu'il soit enfin reconnu pour ce qu'il est. Parce que je vous assure qu'à l'époque j'en ai entendu de belles. Tout le monde se demandait ce que je foutais avec ce crétin. Enfin, les gens s'inclinent. Il a fini par avoir tout le monde ! »
Les hommes qu'elle a aimés, elle les protège. « Quand on a aimé quelqu'un, c’est pour toujours. Philippe [Léotard, ndlr], j'étais là à la fin, vous savez », glisse-t-elle délicatement. Avec Johnny, le père de sa fille Laura Smet, ils s'appellent « souvent » et s'entendent « très bien ». La surmédiatisation, entre autres, a eu raison de leur couple. En 1985, deux ans et demi après la naissance de Laura, ils se séparent. « On ne dit pas assez aux femmes que c'est très difficile d'élever un enfant seule. Même s'il y a un papa, présent, ce n’est pas évident. » Cela dit, Nathalie Baye a toujours su mener de front sa vie d'actrice et sa vie de mère. « Manquerait plus que je me plaigne ! Il y a tant d'autres femmes pour qui c'est beaucoup plus dur. Moi, j'étais un peu aidée quand même. Et puis je me débrouillais avec mes voisins, mes copains. On se filait des coups de main. Il y avait toujours des tas de mômes chez moi ! » se souvient-elle.
Avec Laura, c'est l’amour fou. « Elles ont une relation fusionnelle, confirme Besnehard. Pour Laura, ça n'a pas toujours été facile d'être la fille de Johnny. Avoir un père dont on se fout de la gueule en permanence aux Guignols de l'info, c'est dur à gérer. Nathalie a toujours été parfaite avec sa fille quand elle a traversé des moments dificiles. » Elle a les reins solides, Nathalie. Et un vrai goût pour la liberté. Ou une phobie de l’engagement. Appelez ça comme vous voudrez. « Je ne me suis jamais mariée, par exemple. Pas par idéologie, mais parce que je n'en voyais pas l’intérêt. J'ai été très marquée par le divorce de mes parents, je crois... » Johnny lui-même en a fait les frais ! « Ou alors c'est ma claustrophobie qui va jusque là », blague-t-elle. En effet, les avions, trains, ascenseurs et même les sièges arrière des voitures à trois portes sont le pire cauchemar de Nathalie Baye, qu'elle soigne à grands coups de séances d'hypnose. Autre symptôme de son amour de l’indépendance : la bougeotte. « J’ai déménagé des tonnes de fois dans Paris. J’adore ça ! Je suis une locataire dans l’âme. La vie est courte, il faut voir plein de choses. J’ai fini par acheter il y a dix ans, car l'occasion était trop belle, mais tout peut encore arriver, vous savez. »


ANCRÉE DANS LA VIE
Être libre, pour elle, c'est aussi ne pas s'imposer d'obligations mondaines ou convenues : « Un truc très ennuyeux mais nécessaire et important, je ne me débine pas. En revanche, aller dans les cocktails parisiens parce que ça fait bien dans le paysage, je ne me force pas. » Dominique Besnehard ne dit pas autre chose. « Elle a beaucoup d'amis et très peu sont du métier », assure-t-il, lui qui a passé de nombreuses vacances dans la maison de Nathalie dans la Creuse. Une grande et belle bâtisse au fin fond de la campagne que l’actrice, amoureuse de la nature, a gardée pendant trente-cinq ans. « Une maison superbe, mais pas du tout bling-bling. Nathalie, ce n'est pas le genre de star à demander à un décorateur de lui aménager son intérieur de haut en bas. Non, cette maison avait une âme. Elle l’avait décorée avec plein de jolis objets chinés », souligne Dominique Besnehard. Il y a quelques années, Nathalie Baye l'a vendue. « Mes deux voisins, qui composaient le hameau avec moi, sont décédés. Une paysanne et un monsieur qui entretenait les jardins. Je les adorais plus que tout. Cela m'a rendue si triste que je suis partie, et j'ai eu envie de tout le contraire : une petite maison au bord de la mer. » Elle aime s'y ressourcer, bouquiner, écouter le silence, profiter de la solitude ou, au contraire, y recevoir ses nombreux amis. Et cuisiner pour eux. Elle adore ça : « Je fais un crumble pomme-mandarine à base d'amande et de farine de châtaigne à se taper le cul par terre. » Ancrée dans la vie, Nathalie. Terrienne. « J'ai toujours réussi à avoir la tête dans les étoiles mais les pieds sur terre. Avec les parents que j'ai eus, c'était une question de survie », ironise-t-elle.

"GOÛTONS, GOÛTONS LE SUCCÈS"
Un sens du réel qui lui a permis de traverser aussi sereinement que possible les périodes moins fastes de sa carrière. Deux ou trois traversées du désert, notamment entre le film de Nicole Garcia Un week-end sur deux, sorti en 1990, et le fameux Vénus Beauté (Institut), de Tonie Marshall, qui achève définitivement de la relancer. « Le film a été très diffïcile à monter. À l'époque, Nathalie était dans le creux de la vague et moi je ne trouvais pas de financement. Mais on s'est tenu chaud toutes les deux. On a tenu bon », confie Tonie Marshall. Et le film fait un carton. « Je me souviens, on était au Japon pour la promo. Et dans un ascenseur, Nathalie m'a dit : "Goûtons, goûtons le succès." Elle a totalement conscience de sa préciosité comme de sa précarité. »
Malgré ses quarante ans de carrière, pas de lassitude ni l'ombre d'un quelconque désenchantement. Son œil brille comme au premier jour quand elle parle de son métier : « Je mesure ma chance, vous n'avez pas idée. Chaque jour, je remercie le ciel de vivre ça. Les traversées du désert, c'est dur. Ce n'est pas parce qu'on a fait plein de belles choses avant que les doutes ne reviennent pas au galop. On se dit qu'on ne vaut plus un clou, qu'on est moche, vieille et mauvaise. Mais en même temps, quand le travail revient, on l'apprécie d'autant plus. À chaque fois, j'ai l'impression de franchir une étape, d'être un peu moins mauvaise qu'avant. Cela permet d'être toujours plus exigeant vis-à-vis de soi-même. Ça ravive le désir, tout ça ! » L'exigence, une autre de ses caractéristiques. Myriam a été son assistante pendant cinq ans, il y a une dizaine d'années. « C'est quelqu'un qui sait faire confiance. Je n'avais pas 25 ans quand j'ai commencé à travailler pour elle. En revanche, il n'y a pas de place pour l'amateurisme. Elle demande beaucoup de rigueur, mais elle m'a fait progresser. Elle a un vrai leadership. Elle aurait pu diriger une entreprise », détaille la jeune femme. Ce que Besnehard appelle « son petit côté cheftaine », en rigolant. « Elle est par ailleurs très accessible et fidèle en amitié. Quand elle perçoit que quelqu'un a des difficultés - ce qui a été le cas pour moi à un moment après la fin de notre collaboration -, elle va tout mettre en œuvre pour l'aider, proposer des idées, des choses concrètes, activer des contacts », décrit Myriam.
Décidément, une bonne copine !