Article paru dans LA VOIX DU NORD daté du 2 septembre 2015

 

Nathalie Baye, avide de fantaisie et fan de films de genre

Imperceptiblement, son personnage glisse du drame psychologique au thriller criminel. Et de renouer ainsi avec un portrait de femme blessé, registre dans lequel elle a pas mal donné au fil d’une carrière riche de plus de cent rôles au cinéma, au théâtre, à la télévision. Mais par-dessus-tout, ce qui l’éclate Nathalie Baye, c’est le film de genre ! Elle s’en régale, plonge sans filet, louvoie pour la première fois de sa carrière avec un personnage proche de ceux qui hantent les séries B ou Z italiennes ou américaines. Nathalie Baye, toujours prête à foncer vers l’inconnu, là où personne ne se risque à l’attendre !

Entretien avec Philippe Lagouche.

Nathalie Baye : C’est ce qui m’a le plus séduit à la lecture du scénario. Son côté film de genre, thriller inquiétant, un rôle que je n’avais jamais eu la possibilité d’interpréter jusqu’à présent. Du danger, de la peur, de l’ironie, de l’insolite, de la folie. Il y a un fil qui se tend. Ça me semblait cohérent, pas gratuit. Un personnage pour lequel on peut ressentir une forme de compassion.

La Voix du Nord : Mais c’est surtout une femme brisée
Nathalie Baye : C’est, en effet, une femme brisée qui est illuminée par une folie. »
La passion et l’obsession sont-elles de bons moteurs pour une comédienne ?
« On peut difficilement rester en amour - comme disent les Canadiens - avec ce métier s’il n’y a pas quelque chose de l’ordre de la passion. J’aime jouer. Sur scène, au cinéma, à la télévision. Jouer tout court.

La Voix du Nord : Comme les enfants ?
Nathalie Baye : Exactement. Quelle chance ! Il y a, en effet, quelque chose d’enfantin dans cette manière d’aimer jouer.

La Voix du Nord : Pourriez-vous jouer un personnage que vous n’apprécieriez pas ?
Nathalie Baye : Je n’ai, en aucun cas, envie de juger le personnage que j’ai décidé de jouer. J’essaie de me mettre à sa place. Il m’est arrivé d’être séduite par un personnage dans une histoire à laquelle je ne croyais pas. Le scénario de La Volante, quand je l’ai lu, je ne l’ai pas lâché ! Ça me parlait. Cette femme, mon personnage, je n’essaie pas de la comprendre. Il y a en elle quelque chose de vital que je ressens profondément. Peut-être parce que je suis une mère. La folie qui est la sienne, je ne pense pas l’avoir. Cela dit lorsqu’il nous arrive quelque chose d’aussi dément, d’aussi violent que ce qui arrive à cette femme, on ne sait jamais ! Mon père m’a dit un jour qu’il avait été très étonné, pendant la guerre, de voir des gens qui avaient l’air très courageux, très solides, très puissants, partir en courant tellement ils avaient peur. Il a vu aussi des petits mecs de rien du tout faire des choses extraordinaires. Je me suis tout de même demandé comment pouvait être cette femme avant le drame qui l’a frappée.

La Voix du Nord : Pour un rôle aussi casse-gueule, il faut avoir sacrément confiance en son réalisateur ?
Nathalie Baye : En l’occurrence, ils étaient deux. Je n’avais jamais tourné avec deux réalisateurs. J’avais vu leur premier film Camping sauvage, fait avec trois francs six sous, que j’avais trouvé très talentueux. Il y avait un climat, une vraie originalité. En les rencontrant, j’ai pu constater que c’étaient des gens intelligents, qu’ils étaient très complémentaires, très différents, très amis depuis longtemps. C’est très amusant de travailler avec deux réalisateurs, voire très étrange au début. On a tourné à Metz, puis en Belgique, au Luxembourg. C’était un peu « roots », assez âpre mais agréable. Ils ont peu d’expérience cinématographique, mais une grande connaissance du cinéma. Je leur ai fait confiance. Ils savaient que j’étais avec eux. J’avais envie de donner au maximum.

La Voix du Nord : Qu’avez-vous découvert sur eux ?
Nathalie Baye : Par moment, sur le tournage, on les sentait parfois interrogatifs. Mais en définitive, je me suis rendu compte qu’ils savaient vraiment ce qu’ils voulaient. Ils ont beaucoup d’élégance et de pudeur. Ce sont des types bien, pas du tout arrogants. Des purs. Ils ont, en banlieue parisienne, un petit cinéma indépendant dont ils vivent chichement.

La Voix du Nord : Vous êtes plutôt dialogues ou silences ?
Nathalie Baye : Je n’ai pas de préférence. J’aime tout. Ce que j’aime dans le spectacle et ce que je veux, en tant que spectatrice, c’est voir des émotions. J’essaye toujours de choisir des rôles qui donnent des émotions aux spectateurs. J’aime rire, j’aime pleurer, j’aime avoir peur, j’aime être intriguée, j’aime qu’on me nourrisse. Quand vous êtes sur scène ou dans une salle de cinéma, c’est un plaisir infini d’entendre le rire ou le silence. Donc, tout m’intéresse. C’est pour ça que je n’ai jamais voulu m’enfermer dans un certain type de rôle. J’ai fait des films très différents avec des réalisateurs très différents.

La Voix du Nord : Vous jouez sur l’ambiguïté, l’opacité ?
Nathalie Baye : On peut tellement faire passer de choses dans le silence. Pour exprimer un désarroi, une peur, une colère, une folie, pas la peine de sortir un flingue ! Tout peut se jouer sur un visage.

La Voix du Nord : Quels sont vos registres de prédilection ?
Nathalie Baye : J’aime beaucoup jouer la comédie. À condition que le scénario me fasse rire. Comme Absolument fabuleux, même si j’étais un peu malheureuse au début du tournage. Ou Le Prix à payer, avec Clavier. Ceux-là, je me suis amusée à les faire. J’aimerais beaucoup faire un truc complètement délirant. Au théâtre ou au cinéma.

La Voix du Nord : Vous avez peu tourné à l’étranger ?
Nathalie Baye : On m’a proposé des trucs aux États-Unis que je n’aurais pas acceptés en France. Comme je suis plutôt gâtée dans mon pays, je préfère rester chez moi. Je n’ai pas le rêve américain. Spielberg, ça n’était pas possible de refuser ! Le rôle, de plus, était intéressant. C’était très excitant de travailler avec lui et les partenaires que j’avais sur ce film. J’adore, par exemple, le cinéma anglais. J’adorerais donc tourner en Angleterre.

La Voix du Nord : Quels sont les cinéastes contemporains qui vous inspirent ?
Nathalie Baye : J’aime beaucoup Cédric Kahn, François Ozon, Jacques Audiard, Céline Sciamma, Emmanuelle Bercot, Noémie Lovsky avec qui j’ai déjà tournée. Il y en a plein ! Je vais au cinéma pour mon plaisir, pas pour mon plan de carrière. J’y vais comme spectatrice, amoureuse du cinéma.

La Voix du Nord : Comment vous sentez dans le cinéma contemporain quand on sait qu’un auteur comme Bertrand Blier a du mal à faire des films ?
Nathalie Baye : Ça a pas mal changé, en effet ! On a vécu une époque bénie. On l’a traversée – comme beaucoup d’autres choses – sans s’en rendre compte. Elle est certes moins simple aujourd’hui, mais l’on voit quand même émerger des tas de jeunes réalisateurs talentueux. Le problème, c’est que c’est l’argent qui domine le monde ! Ce sont les décideurs qui comptent. Par le passé, on a connu des producteurs qui disposaient de suffisamment d’argent pour produire un film tout seul. Maintenant, on dépend des chaînes de télévision et de technocrates qui ne connaissent pas le cinéma et qui ne l’aiment pas forcément. C’est là où c’est compliqué.

La Voix du Nord : Curieusement, vous n’avez jamais tourné avec Lelouch ?
Nathalie Baye : En effet ! J’ai eu, avec lui, des projets qui sont finalement tombés à l’eau. Il m’avait d’ailleurs proposé – il y a un an et demi ou deux ans – de tourner dans Salaud, on t’aime avant même qu’il ne choisisse Johnny. On a eu également un projet avec Jean-Paul Belmondo, qui ne s’est pas fait. Tout le monde m’a dit que c’était génial de travailler avec lui. J’espère donc que ça se fera un jour.

La Voix du Nord : Le théâtre ?
Nathalie Baye : J’ai très envie d’y revenir. J’ai un projet dont je n’ai pas très envie de parler car je ne sais pas si la pièce va pouvoir se monter. D’ici un an et demi, je veux absolument jouer sur scène. Ça fait quatre-cinq ans, trop longtemps, que je ne suis pas montée sur scène.

La Voix du Nord : Vous êtes dans le prochain Xavier Dolan...
Nathalie Baye : C’est un film choral dans lequel on a tous des rôles équivalents. Je peux simplement vous dire que c’est l’adaptation d’une pièce de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde. Et que j’adore tourner avec lui.

La Voix du Nord : Comment ce métier vous est-il tombé dessus ?
Nathalie Baye : Par hasard. Je suis entrée dans une école de danse à 14 ans pour fuir l’école car j’étais une très mauvaise élève. Et un jour, j’ai suivi une amie, une excellente danseuse, qui était curieuse de voir un cours d’art dramatique. C’est ainsi que j’ai rencontré René Simon qui m’a proposé d’essayer. Dès que je me suis mise à travailler, avant même de jouer la scène, je me suis sentie à ma place. C’est aussi bête que ça ! C’était une scène de On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, entre Camille et Perdican.

La Voix du Nord : Un prochain challenge ?
Nathalie Baye : De vraies vacances, car j’en ai vraiment besoin ! Je vous assure que c’est un vrai challenge. Faut que j’me batte pour trouver du temps pour des vacances.