Article paru dans STUDIO n°250, octobre 2008

NATHALIE BAYE
Face aux lecteurs


Elle s'est imposée comme une des grandes actrices du cinéma français. À l'affiche de trois films cet automne, elle a rencontré quatre lecteurs de Studio.


Propos recueillis par Béatrice Toulon.
Photos Vincent Lignier.

 

Elle arrive à la Maison de la Chine, dans le Vlème arrondissement de Paris, son quartier. Elle s'installe, silhouette de danseuse, en jean et petit pull. Souriante et fatiguée. Nathalie Baye tourne à un rythme soutenu. Elle est à l'affiche de trois films en octobre et novembre, Cliente, comédie dramatique de Josiane Balasko où elle incarne une présentatrice TV qui s'offre les services d'un gigolo (en salle) ; Les bureaux de Dieu, un docu-fiction de Claire Simon sur le planning familial (5 novembre) et Marie Octobre de Josée Dayan, un remake du film de Julien Duvivier, diffusé le 16 octobre sur France 3. Un huis clos tendu dans lequel un ancien réseau de résistants recherche le traître qui a «vendu» son chef aux nazis. En trente-cinq ans de carrière, plus de quatre-vingts films, deux César de la meilleure actrice (en 1983 pour La balance et en 2006 pour Le petit lieutenant), Nathalie Baye est devenue une valeur sûre du cinéma français. Un succés qu'elle doit un peu à la chance et beaucoup à son travail, aux risques qu'elle a su prendre.
Elle goûte le thé et s'excuse par avance si elle a l'esprit embrouillé. Elle était à Bordeaux la veille et n'a dormi que trois heures. « Jespère juste que je vais être à la hauteur. » Car tel est le paradoxe d'une grande actrice qui a joué pour Truffaut, Godard, Blier, Sautet, Chabrol, rayonné chez Marshall, Klifa, Canet et tant d'autres, Nathalie Baye doute toujours. C'est aussi cette humilité qui la rend si disponible et donc capable de progresser toujours.
Après l'entretien, la séance photo à la mairie et la visite en voisine de sa fille Laura Smet, plus belle que jamais (aussi sur les écrans ce mois-ci avec La frontière de l'aube, de Philippe Garrel), elle part en me glissant à l'oreille : « Vos lecteurs ont drôlement mieux préparé l'entretien que la plupart de vos confrères. »

Léa : Dans Les bureaux de Dieu, vous avez un vrai métier, conseillère du planning familial. Si vous n'aviez pas été actrice, vous auriez aimé un métier comme celui-là ?
Nathalie Baye : Vous me dites que j'ai un vrai métier dans Les bureaux de Dieu parce que c'est un film proche du documentaire. On joue des scènes qui se sont réellement passées, qui ont été retranscrites et qu'on a jouées. Mais dans mes films dits de fiction, j'ai le sentiment de faire de vrais métiers. Dans Vénus Beauté (institut), j'ai essayé d'étre une vraie esthéticienne. Pour Le petit lieutenant, je suis allée voir des femmes flics, j'ai fait des filatures et je me suis prise pour un vrai flic (rires) ! Dans Les bureaux de Dieu, la vraie différence, incroyablement intéressante et presque paniquante pour nous, les acteurs professionnels, c'est qu'on s'est retrouvés avec des acteurs non professionnels, étudiantes, mères de famille, même une prostituée. Et elles étaient d'une telle justesse que cela me rappelait quand on joue avec un enfant. On risquait d'étre fausses à côté, artificielles.
Léa : Est-ce qu'un des métiers que vous avez exercé dans un film vous a attirée ?
Nathalie Baye : J'aime mon métier justement parce qu'il me permet de changer de métier. Mais si je n'avais pas été actrice, j'aurais aimé faire un métier qui touche au métier d'acteur, agent artistique, productrice. J'aime les acteurs.

Paul : Qu'est-ce qui vous a décidée à jouer ce rôle dans Les bureaux de Dieu ?
Nathalie Baye : D'abord le travail de Claire Simon, que je connaissais après avoir vu, en 1989, l'un de ses documentaires, Les patients, sur la dernière semaine d'exercice d'un médecin de campagne. J'avais été bouleversée et je lui avais écrit pour la remercier. Je suis contente de dire aux gens : « Jaime ce que vous avez fait » quand c'est le cas. Après, j'ai vu ses films, j'en ai aimé pas mal. Puis elle m'a contactée. Et l'idée de travailler avec des non-professionnels m'a plu. Ce qui est difficile dans une carrière d'acteur, c'est d'étre bon sur la durée, de tenir la route. Jouer avec des non-professionnels qui ne sont pas dans l'improvisation mais dans un texte écrit, ça permet d'apprendre. Ça réveille.

Johannes : Dans ce film, vous êtes plusieurs actrices à faire la même chose, c'est-à-dire à mener des entretiens. Comment trouve-t-on son style par rapport aux autres ?
Nathalie Baye : J'ai voulu me fondre dans mon personnage, et qu'on ne voie surtout pas Nathalie Baye. Je n'ai pas fait ce métier pour être reconnue mais pour jouer, disparaitre derrière des personnages.
Johannes : Et le style du personnage ?
Nathalie Baye : C'est venu tout seul dans la mesure où l'on ne savait pas avec qui l'on allait tourner et les filles non plus. On n'a jamais répété les unes avec les autres. On ne se connaissait pas. Comme dans la réalité, elles ne savaient pas qui elles allaient avoir comme conseillère. Elles attendaient dans la salle d'attente, je venais les chercher. Claire a essayé de reconstituer ce qu'elle a vu dans le centre de planning familial. ll y avait des filles qui ne savaient même pas qui on était. Donc ça s'est fait tout seul.

Laetitia : Dans Les bureaux de Dieu, Cliente et Marie Octobre, vous êtes dirigée par une réalisatrice. Existe-t-il une différence à être dirigée par une femme ou un homme ?
Nathalie Baye : Non. La France est le pays au monde où il y a le plus de réalisatrices. Donc on tourne de plus en plus avec des femmes. Truffaut disait : « Le jour où on ne précisera pas le sexe des metteurs en scène, ça voudra dire que les femmes sont vraiment complètement arrivées. » La différence que je vois, c'est entre les metteurs en scéne qui ont été acteurs et les autres. Josiane Balasko est une actrice, et il y a un langage commun entre les acteurs. On est du bâtiment, quoi, il y a une communication plus directe, plus facile.

Paul : On vous a vue jouer pour de grands réalisateurs, Truffaut, Pialat, Sautet, Godard... Y en a-t-il encore avec qui vous aimeriez tourner ?
Nathalie Baye : Plein ! Jacques Audiard, Arnaud Desplechin, Xavier Beauvois et Nicole Garcia avec qui j'ai déjà joué, Cédric Klapisch, j'adorerais, Christophe Honoré... C'est la joie de ce métier, les rencontres. Les metteurs en scène ont tous des caractères différents, des univers différents, des méthodes différentes. Et plus c'est différent, plus ça me plaît (rires).

Léa : Souvent vous avez des rôles de femme un peu dure, un peu insensible...
Nathalie Baye : Insensible ?
Léa : Je veux dire des rôles où vous ne laissez pas facilement transparaître des émotions. Dans Cliente, elle est assez dure...
Nathalie Baye : : ll y a des moments où elle n'est pas toujours solide sur ses deux pattes, hein ! Pour revenir à mon traitement des personnages, on a tous notre cuisine face à l'émotion. On a tous notre pudeur. Dans Cliente, les deux sœurs, mon personnage et celui de Josiane (Balasko) s'adorent en réaité. D'ailleurs, cette relation m'a touchée parce je n'ai pas de sœur et j'aurais adoré en avoir une à laquelle je puisse me confier, avec qui je puisse m'engueuler, rire... La complicité, les secrets, le partage d'une enfance et d'une vie, quoi. Ça doit être merveilleux.

Léa : Qu'est-ce qui vous fait choisir un film plutôtqu'un autre ?
Nathalie Baye : J'essaye de faire des choses que j'aurais envie d'aller voir au cinéma. Je ne commence pas par regarder mon rôle mais le projet. Un film, c'est une aventure, un scénario, un metteur en scène, un casting, un ensemble de choses. Un très bon rôle dans un scénario qui ne me plait pas ou avec un metteur en scène avec lequel il n'y a pas de feeling, je n'y vais pas. Ça prend du temps, un film, il y a le tournage où on ne vit que pour ça, après il faut le sortir, en parler, le défendre. Cest quand même plus facile avec un film qu'on aime. Bien sûr, on peut être déçu par le résultat et on peut décevoir le réalisateur. Mais ça fait partie du métier.
Léa : Vous vous décidez vite ?
Nathalie Baye : Très, très vite. Trois ou quatre jours. En fait, c'est presque sensuel. Les rôles, c'est comme les gens, il y a ceux qu'on a envie d'embrasser et ceux qu'on n'a pas envie d'embrasser. Je lis un scénario sans penser au rôle et je rentre dans l'histoire ou pas. Si je le repose dix fois, ce n'est pas bon signe. J'appelle ça les scénarios Temesta, qui endorment.
Johannes : Et s'il s'agit d'une amie comme Josiane Balasko ?
Nathalie Baye : Pareil, je lis. Pour Cliente, ça s'est passé différemment. J'avais lu son roman et je l'avais appelée en lui disant : « Si tu l'adaptes, je suis ta cliente », ce qui est rarissime. Je n'ai jamais fait ça, mais j'ai trouvé que c'était une histoire formidable.

Laetitia : Comment se gère une carrière comme la vôtre ?
Nathalie Baye : En faisant les choses le plus sincèrement possible. Je ne crois pas du tout aux choix de carrière résultant d'un calcul. Le résultat n'est jamais à la hauteur. L'absence de désir, c'est déjà un échec. Mais c'est vrai que j'ai la chance de pouvoir choisir.
Laetitia : Marie Octobre est un remake. Est-ce que vous avez vu la première version ? Et discuté avec Danielle Darrieux ?
Nathalie Baye : J'avais vu le film de Duvivier il y a très longtemps et je l'ai revu quand Josée Dayan m'a passé son scénario, un an avant le tournage. Mais je ne l'ai pas revu après parce que c'est un autre projet et que revoir Danielle Darrieux était trop impressionnant. J'ai ressenti un plaisir énorme à faire ce film, à travailler avec ces acteurs, pas forcément des vedettes mais de très, très bons acteurs. C'est un sujet très noir, très tendu, mais on a bien ri sur le tournage. Danielle Darrieux m'avait dit qu'ils n'avaient jamais autant ri que pendant ce tournage. On s'amuse souvent dans les films très noirs, c'est comme une soupape. Je me souviens de La chambre verte de Truffaut, un film noir, austère, pour lequel on tournait dans des cimetières... On n'arrétait pas de rigoler. Alors que sur les comédies, on a tellement peur de ne pas être drôle que, paradoxalement, ça crée une tension assez grande.

Paul : On dit que la vie d'une femme n'est plus la même à partir de l'âge de 40 ans. Dans votre carrière d'actrice, vous avez ressenti ce changement ?
Nathalie Baye : Ce n'est pas que dans la vie d'une femme mais dans la vie tout court. Et dans toutes les carrières qui durent, qu'elles soient musicales, de cinéma ou autre, il y a des temps morts. La vie ne peut pas être rose bonbon tout le temps. J'en ai parlé une fois avec Meryl Streep. Elle a redémarré à fond la caisse, mais elle traversait alors un moment de creux. J'ai connu des périodes où j'avais des propositions moins intéressantes. Alors quand c'est revenu, j'ai pu déguster, travailler encore plus pour rendre à ces rôles ce qu'ils me donnaient. En fait, j'ai eu des rôles plus intéressants avec l'âge. J'ai eu du pot (sourire). Et quand on me propose quelque chose qui me plaît après autant d'années, je le vis toujours comme un petit miracle.
Johannes : Vous êtes quand même un cas à part.
Nathalie Baye : Nous sommes quelque-unes : Huppert, Deneuve, Ardant... Croyez-moi, je suis consciente de ma chance. Mais je pense aussi qu'il ne faut pas être frileux, ne pas se bloquer sur son image, y aller, je veux dire accepter des rôles de son âge. On ne peut pas faire croire qu'on a 38 ans alors qu'on en a 20 de plus.

Johannes : Vous avez une idée de l'image que les metteurs en scène ont de vous ?
Nathalie Baye : Non, et je ne cherche pas à le savoir. Déjà, il faut essayer de créer une vérité dans les personnages qu'on nous propose, alors si on doit penser à son image, on ne s'en sort pas. Au début, ça me préoccupait plus, mais maintenant je m'en fous. Je ne vais pas mettre des thermomètres dans le derrière de tous les metteurs en scène pour savoir ce qu'ils pensent de moi (rires). Vous êtes jeunes, retenez ce que je vous dis : ne soyez pas trop à l'affût de ce que l'autre pense de vous et tracez votre route !