Nathalie Baye en couverture du journal L'Express en avril 2008  

Article paru dans L'EXPRESS (supplément Styles) n°2963, le 17 avril 2008

Trente-cinq ans de métier, une popularité au zénith et des rôles qui n'en finissent pas de nous surprendre : flic alcoolique, mère abusive, la voici aujourd'hui épatante en fofolle hors la loi dans Passe-Passe, de Tonie Marshall. Une occasion pour la comédienne de se dévoiler un peu.

Par Géraldine Catalano.

Pour reprendre l'une des expressions qui ponctuent sa conversation – « comment dire... » – interviewer Nathalie Baye est une expérience très agréable, mais, comment dire... contrastée. L'héroïne de Passe-Passe, et de Cliente, de Josiane Balasko, qui sortira en octobre, vous accueille avec le sourire, répond avec le sourire, refuse la langue de bois et les postures de star, mais vous donne le sentiment de vous laisser au bord du chemin dès lors que l'on emprunte – sur la pointe des pieds – celui de son intimité. Parfois, rarement, la comédienne se lâche et l'on se dit alors qu'une conversation à bâtons rompus avec elle (autour, par exemple, d'une assiettée de pâtes aux aubergines, qu'elle sait, dit-elle, très bien préparer) doit être une expérience, comment dire... formidable.

L'Express : Vous donnez l'impression de vous être beaucoup amusée sur le tournage de Passe-Passe. L'ambiance était-elle aussi légère que ce road-movie réunissant une aventurière et un prestidigitateur au chômage ?
Nathalie Baye : Pas du tout. Il faisait un temps exécrable dès qu'on tournait en extérieur, et un soleil sublime dès qu'on était à l'intérieur. Pour une comédie censée être lumineuse, c'était infernal. Mais Édouard [Baer] et moi nous sommes très bien entendus et avons adoré jouer ensemble.

L'Express : Votre personnage, Irène Montier-Duval, rappelle beaucoup Christine Deviers-Joncour.
Nathalie Baye : On m'a déjà fait cette réflexion, mais non. Irène est le prototype même de l'emmerdeuse : une casse-pieds qui se mêle de tout et qui a un avis sur tout. Elle est à la fois agaçante et touchante. C'est un rêve de comédienne, ce genre de rôle.

L'Express : Kathleen Turner se plaignait récemment du peu d'opportunités qu'offre Hollywood aux femmes de plus de 50 ans. La France est-elle plus ouverte d'esprit, ou avez-vous beaucoup de chance ?
Nathalie Baye : Que répondre... J'ai beaucoup de chance, c'est une évidence. Mais je crois aussi que la France est moins sévère avec les femmes que les États-Unis, même si Meryl Streep ou Susan Sarandon continuent d'y mener une carrière fabuleuse. Le cinéma français est plus fidèle à ses acteurs que l'Amérique. Nous sommes aussi le pays qui compte le plus de cinéastes femmes. Et les femmes savent écrire pour les femmes. Cela dit, un jour, Meryl Streep m'a raconté avoir elle aussi traversé une période de flottement. Il suffit qu'un film cartonne, et tout redémarre.

L'Express : Pour vous, ce film a été Vénus Beauté. Vous pressentiez, en découvrant le scénario, qu'il allait tout changer pour vous ?
Nathalie Baye : Pas du tout. Je suis dans ce métier depuis si longtemps qu'on pourrait croire que je gère ma carrière. Mais non. Mon moteur, c'est mon désir, point barre. Je n'ai jamais accepté un scénario par calcul. Parce qu'il est impossible de savoir si un film va cartonner, même une heure avant sa sortie. La seule clef pour durer dans ce métier, c'est de faire des choses qui vous plaisent.

L'Express : Si on vous avait dit, avant Vénus Beauté, qu'on vous surnommerait dans les années 2000 « la patronne du cinéma français », qu'auriez-vous répondu ?
Nathalie Baye : Rien... Je ne sais pas trop ce que ça veut dire et je ne me sens pas l'âme de la patronne.

L'Express : Cela veut dire que vous tournez sans cesse et qu'il est rare qu'un scénario ne passe pas dans vos mains.
Nathalie Baye : Je refuse beaucoup de choses mais, si on me propose des scénarios passionnants, j'ai du mal à dire non. Lorsque j'arrive à la fin du quatrième film en un an, évidemment, je suis épuisée [sourires], mais c'est une bonne fatigue.

L'Express : Le plus dur, dans ce métier, c'est quand on ne travaille pas, avez-vous dit en recevant votre quatrième César, en 2006, pour Le Petit Lieutenant. Quel souvenir gardez-vous de cette période ?
Nathalie Baye : J'ai démarré sur les chapeaux de roue mais j'ai connu deux moments difficiles. Le premier entre, grosso modo, La Gueule ouverte [1974], de Pialat, et La Balance [1982]. Et puis, plus tard, vers 1985, quand je travaillais beaucoup pour le théâtre, mais presque plus pour le cinéma. Dans ces moments, on ne se sent pas désirée, on se trouve nulle, moche, pas faite pour ce métier. C'est douloureux...

L'Express : Vous auriez pu solliciter certains réalisateurs...
Nathalie Baye : Non. Je ne sais pas le faire. Beaucoup par timidité et un peu par orgueil.

L'Express : Vous avez dit que l'on commençait à progresser dans ce métier quand on acceptait l'idée de déplaire et de se déplaire. À quel moment le déclic s'est-il produit pour vous ?
Nathalie Baye : Peut-être au moment d'Un week-end sur deux, le premier film de Nicole Garcia, qui a été déterminant dans mon parcours. J'y incarnais une mère qui avait du mal, qui n'y arrivait pas. C'est à partir de ce moment-là que l'on s'est mis à me proposer des rôles un peu différents et que j'ai commencé à lâcher prise. En réalité, je crois être très peu narcissique. Mon moteur, c'est le vertige.

L'Express : Et pourtant vous donnez l'impression d'être très raisonnable.
Nathalie Baye : Mais heureusement que je suis raisonnable, car ce métier ne l'est pas du tout ! Si l'on est acteur sans se montrer un tout petit peu raisonnable, on se noie. Depuis le temps, moi, je serais en vrac à l'heure qu'il est [rires]. Si, au moindre flash, vous vous croyez la reine de la piste, vous êtes cuite !

L'Express : C'est parce que vous avez été mariée à quelqu'un de très célèbre que vous gardez une telle distance ?
Nathalie Baye : Non, je n'ai jamais été impressionnée par les paillettes. J'ai rencontré des personnes extrêmement illustres, qu'elles viennent du monde du cinéma ou de la politique, et, croyez-moi, ce ne sont pas celles qui m'ont le plus impressionnée.

L'Express : Et le début d'un tournage, cela reste intimidant, au bout de trente-cinq ans de carrière ?
Nathalie Baye : Oui. Le temps ne fait rien à l'affaire... J'ai toujours une appréhension avant de me jeter dans le vide. Quand on a le rôle principal d'un film, la pression est forte. J'ai la chance de beaucoup tourner. À moi de me montrer digne de cette chance-là.

L'Express : Vous avez dû être souvent sollicitée par des éditeurs pour rédiger votre autobiographie.
Nathalie Baye : C'est vrai... Je viens d'ailleurs de donner mon accord à une toute petite maison d'édition pour publier un livre sur ma vie d'actrice. Mais une autobiographie, pas question. J'ai toujours refusé, car la mémoire implique forcément celle des autres. Moi, j'ai vécu la surexposition et je sais le mal qu'elle peut faire. On vit une époque très vulgaire, où tout le monde déballe sur tout le monde. Les Mémoires d'une actrice, selon moi, c'est sa filmographie.