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Article
paru dans PSYCHOLOGIES n° 257
en novembre 2006
Nathalie
Baye adore jouer. À l'affiche de
La Californie et sur les planches
dans Zouc par Zouc, elle est heureuse.
Rencontre avec une femme paisible qui vit
avec classe sa maturité..
Propos
recueillis par Hélène Mathieu. |
Il y a d'abord
son sourire, si lumineux, qui ourle un peu sa
lèvre supérieure, fait plisser le
haut du nez et le coin des yeux. C'est ce sourire
qui a dû faire craquer Johnny. Sa voix aussi.
Nathalie Baye, on l'écouterait les yeux
fermés, juste pour le plaisir de la musique.
Elle parle bien, avec finesse et intelligence,
à peine lassée par les interviews
d'une promo marathon. « Ce n'est pas
rien de se raconter et de le voir ensuite dans
les journaux. » Avec une habitude de
pro, elle lâche exactement ce que vous attendez,
sans en dire plus. Comme une politesse faite à
l'autre tout en se préservant. « Ma
manière de me raconter, ce sont mes choix
», dit-elle. Des choix contradictoires qui
dessinent une femme totalement irresponsable – Un
week-end sur deux – et parfaitement
déjantée – Absolument
fabuleux ou La Californie. Elle
excelle dans les deux genres. Et dans la vie ?
À chacun de l'imaginer, bien caché
entre les lignes.
Psychologies :
Dans les interviews, les journalistes vous trouvent
toujours sage, normale, raisonnable... Ce n'est
pas agaçant ?
Nathalie Baye : Méfions-nous
des apparences ! Si je ne faisais pas ce
métier, qui n'est ni sage ni raisonnable,
j'aurais peut-être besoin de montrer ma
part déraisonnable. Mais si, dix heures
par jour je délire comme dans La Californie,
il est certain qu'après j'ai besoin d'une
certaine normalité. Jacques Fieschi m'a
offert un rôle génial avec ce film.
Cette femme, Maguy, est un rêve pour une
actrice : elle est drôle, pathétique,
gamine, vieillissante ; c'est un vrai personnage
de cinéma. C'est tout ce que j'aime. Alors
pourquoi est-ce que, dans la vie, je jouerais
un personnage ?
Psychologies :
Vous trouvez que c'est un défaut, d'être
raisonnable ?
Nathalie Baye : Au contraire.
C'est même quelque chose qui s'acquiert
et qui vous apaise. Mais, dans les médias,
il y a des mots qui ont une consonance suspecte.
Les gentils sont louches, les raisonnables sont
barbants, le trash est génial... Regardez
les articles sur Meryl Streep à propos
du Diable s'habille en Prada, dernier
film dans lequel elle est à l'affiche :
on trouve sa vie trop plan-plan avec son mari
artiste, ses enfants... Mais elle donne tellement
à rêver ! On veut en plus qu'elle
ait l'air d'une dingo ? C'est stupide !
Psychologies :
Vos parents étaient peintres. Lorsque vous
étiez enfant, c'était une fierté
d'avoir des parents artistes ?
Nathalie Baye : On n'a jamais
prononcé le mot « artiste »
à la maison et pourtant c'étaient
des artistes absolus. Ce n'était pas une
fierté, c'était comme ça.
Quand on est petit, on veut toujours être
comme les autres. Quand j'allais chez des copains,
je trouvais la normalité de leur vie rassurante,
et eux trouvaient ma vie démente. Il ne
m'est jamais arrivé de voir un homme partir
le matin à heure fixe pour aller travailler.
Mon père sortait travailler quand la lumière
était belle. Mes parents étaient
originaux. On riait beaucoup chez moi et j'ai
eu une liberté incroyable. Mes parents
ne me demandaient pas : « Où
tu vas, à quelle heure tu rentres ? »
et j'étais plus raisonnable que des copines
serrées à double tour. Comme il
n'y avait pas d'interdits, je n'avais pas à
les transgresser.
Psychologies :
L'école vous plaisait ?
Nathalie Baye : J'y étais
terriblement malheureuse ! J'étais
médiocre, plus que médiocre. Je
sortais des cours sans savoir si c'était
géographie ou maths. Je coupais les cheveux
de mes copines et, en échange, elles me
donnaient leurs devoirs.
Psychologies :
Vous comprenez pourquoi vous étiez si mauvaise
élève ?
Nathalie Baye : Je ne sais
pas. Je m'ennuyais, je m'ennuyais tellement !
Et, en même temps, cette image d'élève
nulle est très lourde à porter.
Zouc en parle dans le texte que je dis sur scène
en ce moment : « J'avais l'impression
d'être la plus nulle, la plus bête. »
C'est atroce. Il faut vraiment faire attention
aux enfants qui ne rentrent pas dans le moule
scolaire, ne pas leur faire mal. Les professeurs
ont parfois des phrases terribles pour les nuls !
Heureusement, la réussite scolaire n'est
pas le gage d'une vie épanouie. Un jour,
une fille, qui était la première
de ma classe au lycée, est venue me voir
au théâtre. J'avais, enfant, une
admiration sans bornes pour elle, c'était
la reine de la piste, la fille la plus intelligente
du monde. Et je l'ai vue dans ma loge, nous avons
parlé... Sa vie était très
triste, ennuyeuse, c'était douloureux.
Psychologies :
Comment vos parents vivaient-ils votre échec
scolaire ?
Nathalie Baye : En fait,
je crois qu'ils s'en moquaient. Ils m'aimaient,
me faisaient confiance. C'étaient des rêveurs
aussi.
Psychologies :
Lorsque j'ai rencontré votre fille Laura
pour un « Divan », elle
a aussi raconté ses difficultés
scolaires. Vous avez aussi bien réagi que
vos parents ?
Nathalie Baye : Pour l'avoir
vécu moi-même, je savais les complexes
que ça donne. Mais je savais aussi que
ce n'est pas une preuve d'intelligence que de
rentrer dans le moule. Et j'ai toujours eu confiance
en elle.
Psychologies :
C'est pour fuir l'école que vous avez choisi
la danse ?
Nathalie Baye : Mes parents
sentaient que je perdais mon temps et que j'étais
malheureuse. Ils m'ont laissée entrer à
l'école de danse de Marika Besobrasova
et suivre ma scolarité par correspondance.
Mais à une condition : que je me mette
dans la danse à fond, pas comme les petites
jeunes filles qui s'amusent. Mon père m'a
permis de sortir d'un endroit où j'étais
atrocement malheureuse en me responsabilisant.
Et j'ai beaucoup travaillé. C'était
une discipline d'enfer, mais qui m'a vertébrée.
Psychologies :
Ça ne vous a pas cassée ?
Nathalie Baye : La danse
peut briser parce que vous avez rarement de retour
positif. On vous critique beaucoup, même
en public. Ce n'est pas une école où
l'on félicite, mais je n'avais pas besoin
de félicitations, j'avais besoin de construction.
Quand je suis arrivée au cours Simon [cours
d'art dramatique, à Paris, ndlr], j'avais
tellement l'habitude de travailler, l'habitude
de la rigueur, que je prenais les autres élèves
pour de grands glandeurs ! Quand ils préparaient
une scène, moi j'en avais préparé
sept. C'était comme des vacances et, en
même temps, j'avais trouvé mon bonheur.
Je me retrouvais comme un poisson que l'on met
enfin dans l'eau.
Psychologies :
On dit que les applaudissements du public sont
ceux que l'on attend de ses parents. Vous le ressentez
comme ça ?
Nathalie Baye : Il y a très
peu de temps, mon père m'a fait un compliment
– c'est très rare... –
qui m'a fait monter les larmes aux yeux. Je lui
ai répondu : « Tu vois,
papa, tous les prix, les applaudissements, les
couvertures de magazines, ça n'a jamais
été aussi doux que ce que tu viens
de dire. »
Psychologies :
Ce compliment, vous ne voulez pas me le dire ?
Nathalie Baye : [Elle sourit
d'un air qui veut dire non.] Je suis une grande
secrète. Ce n'est pas rien, vous savez,
de vous raconter tout ça et de le voir
dans les journaux après. Ce n'est pas rien.
Psychologies :
Je le sais. Moi, à votre place, je crois
que je n'accepterais jamais. [Nous rions toutes
les deux.]
Nathalie Baye : Je me protège,
parce que c'est comme ça que l'on tient
le coup dans ce métier. Je n'ai peur de
rien quand je suis dans un rôle. Mais ma
vie privée, je la garde pour moi.
Psychologies :
[Petit temps de silence. J'évoque la séparation
de ses parents. Elle hésite avant de répondre.]
Nathalie Baye : C'était
une époque où l'on restait ensemble
pour les enfants. Quelques couples arrivaient
à traverser des tornades, à y survivre.
Il se trouve que pour mes parents, ça n'a
pas été le cas. Ils avaient une
immense entente artistique et intellectuelle,
mais le couple ne fonctionnait pas. J'ai vécu
toute mon enfance, en tout cas toute mon adolescence,
avec leurs disputes. C'est pour ça que
je n'ai pas eu de crise d'adolescence, je n'ai
pas voulu faire de vagues, il y avait trop de
drames entre eux. Je n'ai rien montré,
mais j'en ai beaucoup souffert.
Psychologies :
Comment cette situation, ces souvenirs douloureux
se sont-ils répercutés sur votre
manière de fonctionner en couple ?
Nathalie Baye : De façon
très simple. Quand je vois que ça
commence à foirer, j'arrête. Lorsque
j'ai senti que ce n'était plus harmonieux
avec le père de ma fille, j'ai préféré
me séparer de lui, ne voulant pas qu'elle
vive ce que j'avais vécu. Heureusement,
nous avons plusieurs vies. Les contes que l'on
nous raconte enfant, « Ils se marièrent
et eurent beaucoup d'enfants », sont
rarement le reflet de la vie ! Avoir eu plusieurs
amours, je trouve ça magnifique.
Psychologies :
Quand vous vous retournez sur votre passé,
vous reconnaissez des erreurs que vous ne commettriez
plus ou vous seriez prête à revivre
toutes vos amours ?
Nathalie Baye : Je n'ai
aucun regret, aucun remords. J'aime la vie que
j'ai eue, infiniment. Les périodes seule,
comme les périodes à deux. Je suis
restée en très bons termes avec
les hommes de ma vie. Les chagrins, je les revivrais
aussi. Dans la vie, il faut tout prendre à
bras-le-corps ; ou alors on reste chez soi
et on s'ennuie.
Psychologies :
On vous connaît comme amours Philippe Léotard
et Johnny Hallyday...
Nathalie Baye : Vous voyez
que je ne suis pas raisonnable !
Psychologies :
On peut imaginer aussi que vous êtes raisonnable
et que vous avez besoin de la folie de l'autre.
Nathalie Baye : Oui, mais qui
est le plus fou dans ces cas-là ?
[Elle éclate de rire.]
Psychologies :
Après votre séparation d'avec Johnny
Hallyday, vous vous êtes retrouvée
seule avec un enfant petit...
Nathalie Baye: 2 ans et demi.
Nous sommes restés quatre ans ensemble,
mais nous nous sommes séparés quand
Laura avait 2 ans et demi.
Psychologies :
Il faut beaucoup de force.
Nathalie Baye : Il y a une
vingtaine d'années, il y avait une sorte
de mode où l'on trouvait très bien
d'élever un enfant seule. J'ai envie de
dire aux femmes : faites le maximum pour
l'éviter, c'est vraiment très difficile.
On entend : « II vaut mieux la
qualité que la quantité. »
Mais ce n'est pas vrai, il faut la qualité
et la quantité. Ils veulent du temps, les
enfants. Je ne sais plus comment j'ai fait pour
poursuivre ma carrière, avec ma fille à
élever. On trouve sans doute en soi des
forces insoupçonnées et l'amour
des enfants vous porte. Le plus beau cadeau que
Laura m'ait fait a été de dire :
« J'ai l'impression que ma mère
était tout le temps là. »
Psychologies :
Laura me disait, lors de notre rencontre, combien
elle vous a mené la vie dure à l'adolescence.
Nathalie Baye : À
l'adolescence, oui. Ça n'a pas duré
très longtemps mais, comme moi-même
je n'ai pas vécu de crise d'adolescence,
je n'étais pas prête. C'était
dur, mais je n'ai pas lâché. Je ne
suis pas une mère copine. J'ai un amour
fou pour ma fille, mais je ne lui ai jamais cédé.
Pendant cette période, on se dit :
« Ce n'est pas mon enfant, je ne la
reconnais pas ! » Et puis, un
jour, tout ça disparaît et on se
retrouve. C'est très beau. Ils nous mettent
à l'épreuve, mais ce n'est que de
l'amour.
Psychologies :
Vous vous retrouvez en elle ?
Nathalie Baye : Oh oui !
C'est très émouvant. Notre ressemblance
physique aussi est émouvante. Ce mélange
entre son père et moi...
Psychologies :
Vous avez été beaucoup harcelée
par les paparazzis quand vous étiez avec
son père. C'est supportable de voir sa
fille subir la même chose ?
Nathalie Baye : Non, c'est
très désagréable. Mais elle
va se protéger. Si l'on ne veut pas que
quelque chose se sache, on peut l'éviter.
J'ai très confiance en ma fille, elle va
apprendre.
Psychologies :
Vous regardez vos films ?
Nathalie Baye : Très
peu. Quand il y en a un qui passe à la
télévision...
Psychologies :
Vous regardez quoi, surtout ? Votre jeu ?
Vous ?
Nathalie Baye : Je vois
d'abord le film, puis le personnage que je joue.
Quand on débute, on ne voit que soi, c'est
atroce, c'est un cauchemar. Et un jour, heureusement,
ça change. Et on finit par voir le film.
On ne se voit plus soi. J'ai mis longtemps, mais
j'y suis arrivée.
Psychologies :
C'est agréable d'imaginer que vos films
vont vous survivre ? Que vos arrière-arrière-petits-enfants
vont vous voir ?
Nathalie Baye : Non, je
n'y pense pas. Vous savez, quand on discute avec
des femmes comme Danielle Darrieux, elles s'en
fichent complètement. Elles sont dans la
vie. De toute façon, tout disparaîtra
un jour ou un autre... Je ne fais pas ce métier
par vanité, pour m'aimer. Je fais ce métier
parce que j'aime jouer, j'aime disparaître
dans mes rôles, j'aime avoir plusieurs mémoires.
Le reste ? Pfff !
Psychologies :
Vous avez perdu votre maman. Vous êtes-vous
sentie vous rapprocher de la mort ?
Nathalie Baye : [Elle réfléchit.]
Non, je n'ai pas pensé à ça.
Ce doit être mon incurable optimisme...
Perdre sa mère est extrêmement violent,
un deuil très long... D'autant plus que
ma mère n'était pas très
âgée et qu'elle est morte brutalement.
Mais il y a eu une chose très émouvante
et merveilleuse : lorsque l'on s'occupe de
l'aspect pratique, comme vider l'appartement,
on découvre que sa mère n'était
pas seulement sa mère, mais aussi une femme.
On trouve des photos, on la voit avec des gens
que l'on ne connaît pas, on découvre
une part d'elle qu'on ignorait... C'est complètement
émouvant. Une deuxième lecture se
fait. Comme dans le film de Clint Eastwood, Sur
la route de Madison. La mère est morte,
les enfants retrouvent des lettres et découvrent
que leur mère a eu un amant. Subitement
la mère se mélange avec la femme
et une complicité merveilleuse s'établit
par-delà la mort. On peut prolonger la
relation et la douleur s'atténue. Cette
autre réalité m'a aidée à
supporter sa perte.
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