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Article
paru dans MARIE CLAIRE n°650, octobre
2006.
DE L'ENFANCE HEUREUSE
À L'ÉBLOUISSEMENT TRUFFAUT. DE LA
PASSION JOHNNY À L'ARRIVÉE DE LAURA,
LA COMÉDIENNE SUR LE POINT DE MONTER SUR
SCÈNE NOUS OFFRE UNE BRASSÉE DE
TENDRES INSTANTANÉS.
Par Marianne Mairesse.
Couronnée
par un César l'hiver dernier, elle revient
au théâtre pour dire un texte fulgurant
de Zouc à l'automne (à partir du
19 septembre à Lausanne et du 10 octobre
au théâtre du Rond-Point, à
Paris). Nathalie Baye n'arrête plus, et
trois films sortiront encore avant la fin de l'année.
Aux César justement, elle a parlé
des actrices qui rament pour trouver un rôle.
Grande élégance de saluer celles
qui n'étaient même pas dans la salle
et qui, pourtant, sont la majorité dans
ce métier. Les deux pieds dans le réel,
Nathalie Baye travaille. Remarquablement. Même
pour choisir en photos les dix dates de sa vie,
elle est pro. Dans une petite robe noire qui souligne
joliment son corps de danseuse, elle se concentre
pour retrouver les dates exactes, rit de son autisme
des chiffres et parle avec une franchise émue
de «Philippe» et «Johnny»,
puis du cinéma qui l'a kidnappée.
On aime ses rides, qui sont chez elle l'inverse
d'une décrépitude, on aime sa simplicité,
son côté sans chichis. Nathalie Baye
est une femme tendre. On devine l'amie, l'amoureuse,
la maman. Et l'on fait davantage que le deviner
grâce aux dix dates fondamentales qu'elle
nous révèle de sa vie.
1955. « Mes parents étaient
peintres et on arrivait à partir deux mois
chaque été en Bretagne. Ce sont
les moments les plus heureux de ma vie. Ils étaient
encore ensemble, on riait beaucoup. J'ai eu une
enfance très libre, on faisait des cabanes
de fougères avec des copains. C'est là
qu'un garçon m'a donné mon premier
baiser. J'ai perdu ma mère il y a dix ans.
Elle a écrit un très beau livre,
La Guerre d'à côté,
mais n'a jamais eu de reconnaissance et en a beaucoup
souffert. Mon succès l'a, aussi, renvoyée
à son insuccès. J'ai envie de réparer
ça. »
1965. « À l'école,
c'était le cauchemar : j'étais
dyslexique et complètement ailleurs. Alors,
j'ai intégré une école de
danse, à Monaco. La professeur nous martyrisait,
mais je bénis le ciel d'être passée
par là. Je dois tout à la danse.
Dans le métier d'actrice, il y a parfois
des metteurs en scène qui vous cassent
et des moments de creux où on peut se mettre
à déconner ou à picoler.
J'ai pu traverser ces difficultés grâce
à la rigueur de la danse. Une discipline
qui m'a appris le courage. »
1967. « Entre deux tournées
– je faisais partie d'une compagnie
de danse qui ne me rendait pas heureuse –,
je suis allée un jour avec une copine,
comme ça, par hasard, au cours Simon. C'est
René Simon sur la photo, on l'appelait
"le patron". Je faisais partie du flot
d'élèves et on devait passer une
audition pour voir si on était reçu.
Un lundi, il a donné les résultats.
Il a cité tous les élèves
et pas mon nom. Une fois encore, l'échec.
À un moment, il a dit, à la fin
du cours : "Ah ! Et puis il faut
que je vous parle de quelqu'un. Il y a une élève.
Baye." Et il a fait comme ça. (Elle
lève le pouce en signe de "super".)
Et là, j'ai pleuré. Subitement,
un adulte qui avait pignon sur rue me disait que
j'étais bonne. Il m'a donné des
ailes. Il est mort trois, quatre mois après.
Il avait dit à mes parents : "Nathalie,
ce sera mon dernier succès". »
1971. « Avec ma grand-mère,
près du musée de Cluny. Elle me
disait toujours : "Entre ta jeunesse
et ma jeunesse, il s'est passé cinq cents
ans". C'était une très bonne
pianiste, mais pour sa mère, il était
hors de question qu'elle fasse carrière
dans le piano. Ma grand-mère n'a jamais
porté de jugement sur ma vie, elle voulait
que je sois heureuse. Elle a connu mes différents
amoureux, elle les a tous aimés, même
si c'étaient des hommes qui pouvaient effrayer
une grand-mère. Elle avait une grande confiance
en moi. Quand je suis devenue célèbre,
ça n'a rien changé. J'ai des photos
d'elle et Johnny en train de frotter des cornichons
sur une table, dans la Creuse, il faut le voir
pour le croire ! Elle est morte quand ma
fille devait avoir quatre ans, elle en avait 98.
Elle était ma complice, mon amie. »
1972. « Cette photo a été
prise pendant le tournage de La nuit américaine.
Ma rencontre avec Truffaut a été
déterminante. Je sortais du Conservatoire
et mon agent de l'époque m'a dit :
"Truffaut cherche une actrice pour faire
la script-girl, tu devrais y aller." Je le
rencontre et, après deux jours d'hésitation,
il finit par me choisir. Moi, je ne pensais qu'au
théâtre, et sur ce tournage qui racontait
l'histoire d'un tournage, je suis tombée
amoureuse du cinéma. Je n'ai jamais refait
un film sans penser à La nuit américaine,
et quand j'ai tourné avec Spielberg, il
ne me parlait que de ça. Mon amitié
avec Truffaut est née à ce moment-là.
On avait d'énormes fous rires, il me racontait
ses histoire d'amour, on était deux potes.
Il me manque beaucoup. »
1976. « Philippe a été
mon premier grand amour, un homme très
important dans ma vie. Il était drôle,
intelligent, puissant, presque trop. Quand on
s'est connus, c'était une telle force de
la nature que je n'ai pas réalisé
qu'il buvait. Mon manque d'études, je l'ai
aussi comblé grâce à Philippe
qui m'a énormément apporté.
À un moment, malheureusement, il est passé
à des substances beaucoup plus dangereuses,
et là, ça a été "sauve
qui peut la vie". J'avais des amies qui se
plaignaient de leur compagnon infidèle
et je leur disais : "Les filles, c'est
rien tout ça. Avoir un homme qui se drogue,
c'est ce qu'il y a de pire." J'ai envie de
dire à toutes les personnes qui boivent
ou se droguent d'arrêter parce que j'ai
vu Philippe, qui disait : "On s'en fout",
connaître une mort atroce. Ces êtres
qui jouent avec la mort sont en réalité
ceux qui sont le moins prêts à mourir. »
1981. « La Balance
a été mon premier gros succès
populaire, un carton auquel on ne s'attendait
pas. C'est un film que les gens aiment, on continue
de m'en parler. Quand j'ai préparé
Le Petit Lieutenant, je suis allée
voir les flics – je ne vous raconte
pas, je suis une icône pour eux ! –
et comme pour La Balance, ils ne se sont
pas sentis trahis parce qu'un des leurs avait
participé à l'écriture du
scénario. Avec Philippe, on s'est retrouvés
sur ce tournage, ce n'était pas rien. On
avait des scènes d'amour à tourner
ensemble, ça nous fragilisait quand même
tous les deux. Le film m'a amené plus de
propositions, mais ni le succès, ni l'argent
ne m'ont jamais changée. Ça a l'air
très vaniteux ce que je dis, mais je n'ai
jamais cherché à être connue.
Jamais. Le succès, je m'en méfie
beaucoup. Ce n'est pas un ticket pour le bonheur. »
1981. « Je trouve cette photo
magique. Elle a été prise lors d'un
pique-nique au bord d'un lac par des amis qui
sont à des années-lumière
de notre métier. Lui est professeur de
tapisserie à l'école d'Aubusson.
C'était notre premier été
avec Johnny. Laura n'était pas encore née,
on était très amoureux. C'est un
homme qui m'a beaucoup touchée. C'est un
Gémeaux, il y a deux personnages en lui :
l'un magique, l'autre plus énigmatique
et dangereux. Il a un instinct invraisemblable,
il sait exactement qui est qui. Il m'a donné
la plus belle chose de ma vie, un enfant. Il le
voulait à tout prix, c'était obsessionnel.
Notre histoire n'a pas duré très
longtemps, mais elle a été très
forte. Tous les gens de l'extérieur ne
l'ont jamais comprise, et nos proches ont parfaitement
compris l'évidence d'être ensemble. »
1986. « Ma fille. On était
en vacances à la Martinique, elle se réveillait.
Je participais à un festival totalement
inintéressant où l'on ne projetait
que de très mauvais films ! J'ai un
lien très fort et très complice
avec elle et, en même temps, aujourd'hui
c'est une jeune femme, elle a sa vie. J'aurais
pu avoir d'autres enfants, mais j'ai trouvé
difficile d'en élever un toute seule. Un
enfant, c'est l'amour avec un grand A, l'amour
absolu. J'ai essayé d'être la plus
présente possible. Je n'ai jamais aimé
la phrase : "Mieux vaut la qualité
que la quantité." Même dans
les périodes difficiles de l'adolescence,
je n'ai jamais lâché. Je ne sais
même pas comment j'ai réussi à
faire une carrière tellement j'ai fait
passer mes amours, et tout particulièrement
ma fille, avant le reste. Et vous voyez, ça
n'empêche pas... »
1989. « Une photo de vacances
chez moi, dans ma maison dans la Creuse, avec
Laura, ses copines et ses copains. Il y avait
toujours une tripotée d'enfants, j'adore
ça. Et puis on voit Dominique Besnehard,
le parrain de ma fille, qui, tous les étés,
se déguisait en fantôme, organisait
les goûters, se transformait en tonton gâteau.
Avant d'être mon agent, Dominique est mon
ami. Il y a entre lui et moi une complicité
et un dialogue très forts depuis de longues
années. C'est un homme qui m'apporte beaucoup,
qui en fait trop tout le temps et qui vient régulièrement
dans ma maison où l'on est coupé
du monde. Personne n'ose l'appeler là-bas.
Ma maison, c'est mon refuge. De temps en temps,
quand je me sens fragile ou que je suis loin,
je pense à elle. C'est un tout petit bout
à moi qui me rassure et me fait du bien.
Peut-être, parfois, un peu trop chargé
de souvenirs... »
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