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Article
paru dans STUDIO n°198, mars
2004.
Ils
sont les héros romantiques et passionnés
d'Une vie à t'attendre,
premier film – chaleureux et
émouvant – de Thierry
Klifa, ex-journaliste de Studio. Alors qu'ils
viennent de vivre une année exceptionnelle,
nous leurs avons demandé de prolonger
leur conversation. Nous avons aussi interrogé
le réalisateur sur ses interprètes
Interview de Jean-Pierre
Lavoignat.
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Dans Une vie
à t'attendre, alors qu'ils sont tous
deux à un moment charnière de leur
existence, ils se retrouvent par hasard, douze
ans après une histoire d'amour qui s'était
mal terminée, et retombent dans les bras
l'un de l'autre. Dans la vie, ils s'étaient
seulement croisés, avant que ce film de
Thierry Klifa n'en fasse des amants déchirés
et déchirants, dont la devise pourrait
être « Ni avec toi, ni sans toi »...
Depuis la fin du tournage, ils ne s'étaient
pas revus. Nathalie Baye est arrivée en
premier au studio photo, avec son chien. Patrick
Bruel a suivi, quelques instants plus tard, avec
ses téléphones. Très vite,
tout naturellement, ils ont repris leur conversation,
là où ils l'avaient laissée
quelques mois plus tôt. En même temps,
on les sentait plus légers, plus complices,
presque plus libres que sur le tournage (voir
Studio n° 195). Comme s'ils étaient
heureux de se retrouver, débarrassés
des états d'âme de leurs personnages,
et de leur responsabilité dans cette aventure
si particulière que représente toujours
un premier long métrage, et d'autant plus
singulière, cette fois, qu'ils sont tous
les deux, depuis longtemps, amis avec l'ancien
journaliste de Studio devenu cinéaste.
Comme s'ils étaient heureux de se retrouver,
fiers – et même un peu émus –
de ce film à la fois léger et profond,
vrai et romanesque, grave et lumineux, qu'ils
aiment et qui leur ressemble, tout autant qu'il
ressemble à son réalisateur...
Studio :
Vous souvenez-vous de la toute première
fois où vous vous êtes rencontrés ?
Patrick Bruel : Très
bien... J'ai même une photo ! C'était
à Roland-Garros. Alain Sarde nous avait
invités, tous les deux, pour assister à
un match de tennis.
Nathalie Baye : Ah oui,
tu me l'as dit sur le tournage. Je ne m'en souviens
pas, mais je me rappelle t'avoir vu chanter sur
scène et aussi aux Restos du cœur.
En fait, on se connaissait sans se connaître
vraiment. Roland-Garros, c'était quand ?
Je n'ai aucun souvenir des dates. C'était
il y a plus de dix ans, non ?
Patrick Bruel : Oui. C'était
en 1986 ou 1987... Quelqu'un a fait une photo
de nous, assis côte à côte.
Ça pourrait très bien être
Jeanne et Alex [les personnages qu'ils interprètent
dans Une vie à t'attendre], au
moment de leur première histoire...
Studio :
Et la première fois, justement, où
vous vous êtes rencontrés pour Une
vie à t'attendre ?
Patrick Bruel : Avant ça,
je me souviens que l'on s'est encore retrouvés
assis l'un à côté de l'autre,
à une fête d'Unifrance, juste avant
que Thierry [Klifa] te propose le film ;
il m'a dit, après, qu'il avait passé
la soirée à nous regarder et qu'il
était ému, comme si ses personnages
vivaient déjà sans lui...
Nathalie Baye : Moi, je
me souviens qu'à la répétition
des César [en 2002], je suis venue vers
toi...
Patrick Bruel : ... me dire
que tu ne voulais pas faire le film ! (Rires.)
Nathalie Baye : Oui. Je
n'aime pas les intermédiaires et je préfère
les choses claires. Aussi, j'avais tenu à
te dire personnellement pourquoi j'avais dit non
à Thierry.
Studio :
Pourquoi ?
Nathalie Baye : Pour des
problèmes que j'avais alors avec le scénario...
J'aime beaucoup Thierry, mais, pour moi, ce nest
pas une preuve d'amitié que d'accepter
un film qu'un ami vous propose, alors que vous
ne le sentez pas. C'est même le contraire.
J'essaie de ne pas tout mélanger.
Studio :
Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?
Nathalie Baye : Plusieurs
choses. D'abord, le travail formidable qu'avaient
fait Thierry et Christopher [Thompson] sur le
scénario. Souvent, les gens vous disent
qu'ils vont le remanier et ils bidouillent deux,
trois trucs. Eux, ils avaient vraiment travaillé.
Tout d'un coup, tout était moins sentimental ;
mon personnage avait plus d'épaisseur,
de complexité... Je ne le voyais plus comme
ces rôles assez classiques de femmes matures,
solides, rassurantes, que j'avais beaucoup joués
à un moment de ma carrière. Et elle
était très différente, aussi,
des dernières femmes que j'ai jouées,
qui se laissaient aller, qui picolaient, qui étaient
abandonnées. C'était une amoureuse !
J'étais donc convaincue que le scénario
était beaucoup mieux, mais je n'étais
pas encore sûre que j'allais dire oui, d'autant
que je venais d'enchaîner film sur film.
On a dîné ensemble, avec Thierry,
et là, j'ai découvert une part de
lui que je ne connaissais pas. J'ai vu que ce
jeune homme doux, gentil, disponible, discret
était aussi capable d'un irrésistible
pouvoir de conviction et d'une belle fermeté.
Il m'a bluffée. Et à la fin du dîner,
je lui ai dit : « Accorde-moi
encore une petite semaine et je te donne la réponse
définitive, promis ! »
Tout se mettait en place dans ma tête. Quelques
jours plus tard, j'étais en voiture, je
l'ai appelé et je lui ai dit : « Je
suis en train d'aller vers ton film. »
Le lendemain, j'ai dit oui et... je ne l'ai jamais
regretté.
Patrick Bruel : Quand j'ai
lu cette nouvelle version du scénario – c'était
une nuit où je n'arrivais pas à
dormir –, je l'ai dévorée.
J'ai appelé Thierry dès que j'ai
pu, et je lui ai dit : « Avant
de le proposer à X, repropose-le à
Nathalie ; je suis sûr que, cette fois,
elle va accepter. » Le scénario
était arrivé à maturité
au moment où il devait l'être.
Studio :
Qu'est-ce qui vous touche, chacun, dans le personnage
joué par l'autre ?
Nathalie Baye : Ses rondeurs !
(Éclat de rire.)
Patrick Bruel : En tout
cas, je m'en suis servi ! J'ai même
un peu lutté contre tout le monde, sur
ce tournage, pour ne pas les perdre ! Je
savais que ces rondeurs renforçaient le
côté à la fois un peu installé
et un peu résigné du personnage
d'Alex, cette façon qu'il a de ne pas être
dans la séduction, d'être, du coup,
un peu plus lent, un peu plus gauche...
Nathalie Baye : C'est bien
ce que je disais ! Il y a chez Alex une sorte
de maladresse, quelque chose comme un vieux truc
d'adolescence qui traîne, qui le rend touchant,
attendrissant, même, et qui fait que, malgré
des côtés chiants, on n'arrive pas
à lui en vouloir. Et je trouve, justement,
qu'il fallait faire preuve de beaucoup d'humilité
et de justesse pour rendre ça. Jamais tu
n'as cherché à plaire à tout
prix.
Patrick Bruel : Moi, ce
que j'aime chez Jeanne, c'est le chemin qu'elle
fait. Cette manière qu'elle a d'aller jusqu'au
bout de son amour, quoi qu'il lui en coûte.
Sans craindre de dévoiler une fragilité,
une vulnérabilité complètement
déconcertantes. J'aime beaucoup, aussi,
sa relation aux autres. À sa mère,
notamment. J'adore toutes tes scènes avec
Danielle [Darrieux]. Surtout celle où vous
êtes devant la glace et où elle te
raconte l'histoire de ses rides. On sent là
tellement de vécu, tellement d'histoires...
Tu as une manière de l'écouter,
les bras croisés, avec une lumière
dans l'œil, que j'adore ! J'aime ce
mélange de pudeur, de chaleur, d'humour.
Je ne crois pas qu'on t'ait beaucoup vue dans
un registre aussi large...
Studio :
Qu'est-ce qui vous touche dans le destin de votre
personnage ?
Nathalie Baye : À
chaque âge correspondent des moments charnières.
Jeanne, de toute évidence, en vit un. Il
y a une période dans la vie – quand
on est depuis longtemps en couple avec la même
personne, quand on sent que ses enfants ont grandi
et ne sont plus tout à fait à soi –
où l'on réalise alors que le passage
des ans a laissé, sinon quelques blessures,
du moins une sorte de mélancolie. Après
avoir été la fille de sa mère,
la femme de son mari, la mère de son fils,
Jeanne peut être elle-même, quitte
à passer pour égoïste. J'aime
cette idée qu'on a plusieurs vies dans
une vie. Un jour, mon père m'a dit :
« Ou tu choisis une vie riche en émotions,
et tu auras de grandes joies et de grands chagrins ;
ou tu choisis de jouer petit, et tu auras de petites
joies et de petits chagrins. » Il y
a toujours quelque chose d'émouvant dans
ces personnages qui veulent aller au bout de leur
désir, qui n'ont pas peur du jugement des
autres et qui font le pari de l'amour et de la
vie. Il y a des gens qui entrent en vieillesse
à 35 balais et d'autres qui, à 80
ans, n'y sont toujours pas. Regardez Danielle
Darrieux : elle a choisi la jeunesse pour
toujours ! Les personnages d'Une vie
à t'attendre sont des personnages
quotidiens, mais ils le magnifient, ce quotidien.
Ils sont stimulants...
Patrick Bruel : Oui. Ils
donnent du baume au cœur. Ils font croire
en la vie et en l'amour.
Nathalie Baye : Ils sont
intéressants à jouer et intéressants
à observer... Moi, je pense à tous
leurs moments difficiles, comme la scène
entre Michaël [Cohen] et toi, c'est douloureux,
mais il y a quelque chose de beau, de vrai, de
juste dans ces rapports... J'adore cette justesse
de ton dans le film, ce mélange de choses
tendres et douloureuses, de vérité
et de romanesque. Comme la vie ! Je la comprends,
Jeanne. Je l'aime beaucoup, même si je n'ai
pas l'impression de lui ressembler. Moi, j'ai
choisi la liberté dès le début...
(Rires.) Et c'est certainement parce que je l'aime
et la comprends que, si j'y avais beaucoup réfléchi
avant le tournage, au moment de la jouer, je n'ai
plus pensé à rien. Tout s'est fait
de manière assez naturelle. Comme pour
toi, d'ailleurs, non ?
Patrick Bruel : C'est vrai.
Même si, pour moi, il y avait quelque chose
d'un peu particulier. Au moment où j'ai
dû jouer Alex, je vivais la suite de son
histoire dans ma vie personnelle. Cette concomitance
était troublante. Et même un peu
compliquée à vivre. C'était
troublant, en effet, de jouer une scène
où je ne vais pas à l'échographie
avec Géraldine [Pailhas], alors que deux
jours plus tôt, j'avais assisté à
celle de ma compagne. C'était troublant
de jouer à quitter une femme enceinte pour
aller en retrouver une autre ! C'était
spécial ! Le désir de paternité
d'Alex est presque plus fort que tout. C'est son
moteur. Il n'a plus ses parents, il a pris en
charge son petit frère, il a envie de construire.
Son désir d'enfant joue un rôle déterminant
dans sa relation avec Jeanne... Ce n'est pas un
hasard si Thierry a écrit le rôle
pour moi... Moi qui ai attendu si longtemps pour
être père... Cela a certainement
influencé ma manière de jouer. Il
est probable que je n'aurais pas interprété
le rôle de la même façon il
y a quelques années, notamment la fin du
film...
Studio
(À P. Bruel) : Et les hésitations
d'Alex, ces allers-retours entre Jeanne et Claire,
vous les comprenez ?
Patrick Bruel : C'est quelque
chose qui ne m'est jamais arrivé...
Nathalie Baye : Oh !
Tu ne vas pas me dire que tu n'as jamais navigué
entre des poulettes ? (Éclat de rire.)
Patrick Bruel : Mais comme
tu dis, c'étaient des poulettes !
Jamais quand c'était important et solide.
Et je n'ai jamais connu quelque chose d'aussi
important que ce que je vis actuellement. Donc,
ça ne s'est pas présenté.
Mais, devant Alex, j'ai bien dû me dire :
« Et si ça se présente,
qu'est-ce qui se passe ? » De
toute façon, il n'a pas le choix, il n'est
pas lâche. Il pourrait vivre deux histoires
parallèles et faire comme beaucoup de mecs,
en laisser pourrir une sans choisir vraiment.
Lui, il est entier, il ne triche pas, il va à
fond dans les deux, il laisse parler son cœur.
Jusqu'au moment où, ça y est, il
a pris sa décision. Enfin, il le croit...
Et puis, il y a cette scène si dure, sous
la pluie, où il ne sait plus... J'aime
sa fragilité d'homme devant le choix, devant
la force de la passion... Savoir qu'à tout
moment tout peut s'écrouler...
Studio :
Quelle est la scène entre vous que vous
appréhendiez le plus avant le tournage ?
Patrick Bruel : La première.
(Rires.)
Nathalie Baye : Qu'est-ce
que tu veux dire par la première ?
Les retrouvailles ?
Patrick Bruel : Non. La
première que l'on devait tourner :
celle dans la garçonnière, où
je devais t'embrasser.
Nathalie Baye : Ah oui !
Ça a commencé par une galoche !
(Rires.)
Patrick Bruel : J'étais
intimidé. J'ai dit à Thierry :
« Tu aurais pu nous faire un truc plus
progressif ; une petite scène de resto,
de comédie... » Il m'a répondu :
« Ça tombe bien que tu sois
intimidé ; c'est ce que je voulais ! »
Nathalie Baye : Au moins,
une fois que c'était fait, il n'y avait
plus de problèmes ! (Rires.) Moi,
j'angoissais à l'idée de chanter.
Ça, c'était l'enfer. Déjà,
de chanter tout court. Ensuite de chanter devant
toi ! Et, enfin, de chanter sur une place
publique, en Italie, avec un micro et un orchestre !
Un truc de dingue...
Patrick Bruel : Mais tellement
charmant, simplement émouvant. Je redoutais
aussi le long monologue que j'ai devant toi, où
je raconte la façon dont tu m'as quitté,
surtout sachant que Thierry voulait tourner la
scène en un seul plan...
Studio
(À N. Baye) : C'est un film où
Alex est mêlé à d'autres histoires :
avec sa compagne [Géraldine Pailhas], avec
son amie [Anouk Grinberg], avec son frère
[Michaël Cohen]... Quel a été
votre sentiment lorsque, le film terminé,
vous avez découvert ces autres parties ?
Nathalie Baye : J'ai été
très touchée. C'était vraiment
plaisant à découvrir. Ce qui m'a
plu, surtout, c'était de voir que tout
est bien orchestré : tous les personnages,
même les plus secondaires, existent réellement.
Ils ont tous une raison d'être là,
et ça circule bien entre les uns et les
autres. J'étais heureuse, aussi, de voir
courir, tout au long du film, ce que, moi, j'avais
ressenti sur nos scènes : une harmonie,
une évidence. On était tous dans
le même film. Personne n'était là
pour faire son truc dans son coin. Bien sûr,
cela a augmenté ma frustration de n'avoir
pas plus de scènes avec Anouk et Géraldine.
Ce sont de grandes actrices, avec beaucoup de
puissance. Ça m'a donné envie de
rejouer avec elles, de les retrouver...
Patrick Bruel : Je te le
souhaite, parce que c'est magique de jouer avec
elles... Elles ont toutes les deux une grâce
infinie et un rare pouvoir d'émotion.
Nathalie Baye : Oui... Cette
harmonie dont je parlais, elle vient du metteur
en scène. Car même lorsque l'on se
voyait peu et que l'on se retrouvait, quelque
chose existait entre nous, que Thierry savait
installer. Quelque chose d'à la fois intense
et léger. Beaucoup de chaleur circulait
sur ce plateau, de désir, de plaisir et
aussi un grand sens de la responsabilité.
On était tous vraiment investis. On ne
faisait pas ce film comme des copains qui se retrouvent
en vacances ! En outre, en dehors de sa connaissance
du cinéma et de sa passion pour les films,
Thierry aime réellement les acteurs et
n'en a pas peur. Ça se voit, dans le film.
Certains réalisateurs ont beau aimer les
comédiens, ils ne savent pas communiquer
avec eux ou ils sont trop impressionnés
pour oser les pousser, leur dire ce qui ne va
pas... Pas Thierry. Il ne se laisse pas séduire
bêtement par eux. On ne la lui fait pas !
Patrick Bruel : Non, pas
question de bidouiller avec lui. En plus, il connaît
toutes les nuances que les acteurs sont capables
de lui donner, tout ce qu'il aime chez eux, et
tout ce qu'il aime moins, tout ce qu'ils n'ont
pas encore utilisé et qu'il veut obtenir...
Studio :
Pensez-vous que cela vient du fait qu'il a été
journaliste, et qu'il a beaucoup observé
les acteurs au travail ?
Patrick Bruel : Je crois
que cela vient davantage du fait qu'il est totalement
passionné de cinéma. Il est devenu
un bon journaliste parce qu'il aimait infiniment
le cinéma et les comédiens, et il
est devenu metteur en scène parce que,
à un moment donné, il a fallu qu'il
transmette cet amour différemment. Il a
appris à assumer ses propres émotions,
il a digéré tous les films qu'il
a vus, il n'est pas encombré de références,
il connaît seulement sa famille. C'est celle
des sentiments et des émotions.
Nathalie Baye : Oui, je
crois aussi que cela vient de son amour d'un certain
cinéma, auquel son film se rattache tout
naturellement. Par la fluidité de sa mise
en scène, son élégance, sa
générosité, son côté
romanesque...
Studio :
Vous qui le connaissez bien et depuis longtemps,
qu'est-ce qui vous a le plus surpris en le regardant
travailler ?
Patrick Bruel : Sa prise
de possession du plateau. Progressive, évidente,
naturelle. Il sait ce qu'il ne sait pas – et
il l'accepte. Il sait ce qu'il ne veut pas – et
il ne transige pas. Il n'a jamais prétendu
tout connaître, et il captait les informations
des uns et des autres comme une véritable
éponge. Si bien qu'en voyant Une vie
à t'attendre, on ne pense jamais qu'il
s'agit d'un premier long métrage.
Nathalie Baye : Ce qui m'a
le plus épatée ? C'est quelqu'un
qui ne boude pas son plaisir. C'est étonnant
de voir un réalisateur débutant
déguster son plaisir pendant le tournage
et ne pas être oppressé à
longueur de temps, tout en étant extrêmement
ferme et à l'écoute. Sa capacité
d'écoute, on la connaissait. On savait
moins qu'il pouvait faire preuve d'autant de fermeté !
(Rires.) Il est de ces metteurs en scène
qui sont de gros bosseurs et qui, du coup, peuvent
s'amuser.
Patrick Bruel : Oui, parce
que la base est là, solide, ancrée
profondément...
Studio
(À N. Baye) : Vous qui connaissez
bien les chanteurs, diriez-vous qu'ils sont faits
de la même étoffe que les acteurs ?
Nathalie Baye : Patrick
est un cas particulier, parce qu'il a d'abord
voulu être comédien. Du reste, d'autres
chanteurs que j'ai connus voulaient être
acteurs au début. (Sourire.) L'image d'un
chanteur est très forte ; il n'est
pas caché derrière un personnage,
il est connu pour lui, pour ce qu'il est, il fait
souvent partie du quotidien du public et il entre
chez les gens, dans leur salle à manger
par la télé ; il nous appartient...
Je pense à Dutronc, à Johnny...
Ce n'est donc pas évident à faire
oublier, cette image. Cela demande un travail
supplémentaire. Mais lorsque ça
passe, il y a un truc en plus, quelque chose d'émouvant...
Patrick Bruel : Moi, la
seule chose que je puisse dire, et le reste appartient
aux autres, au public, c'est que je n'y pense
jamais. De ce point de vue, je suis très
différent, et j'ai toujours mené
les deux métiers en parallèle. Je
ne me dis jamais : « Ça
va être un obstacle. »
Studio :
Vous avez vécu tous les deux une très
belle année 2003. Nathalie, vous avez enchaîné
les succès [Chabrol, Spielberg, Noémie
Lvosky], vous êtes l'une des favorites aux
César et les lecteurs de l'hebdomadaire
professionnel Le Film français vous ont
élue personnalité de l'année.
En plus, votre fille, Laura, a reçu le
prix Romy-Schneider et est nommée aux César
pour son premier rôle [Les corps impatients]...
Nathalie Baye : ... C'est
une jolie histoire de cinéma, non ?
Que la mère et la fille soient nommées
aux César toutes les deux la même
année. Ça me touche beaucoup...
Studio :
... Patrick, votre album, Entre deux,
a été, une fois de plus, en tête
des ventes ; vous avez fait une tournée
triomphale ; vous avez eu un fils... On a
le sentiment que vous êtes tous les deux,
aujourd'hui, en pleine possession de vos moyens,
en maturité et en harmonie... Est-ce un
sentiment que vous partagez, de vivre une période
particulière ? Ou vous dites-vous
que ce n'est que le hasard ?
Nathalie Baye : Moi, je
dirais que c'est plutôt le hasard. L'expérience
m'a appris qu'une carrière, c'est fait
de pics de chaleur et de moments de doute, d'angoisse.
Je ne me sens pas exactement en pleine possession
de mes moyens ; j'ai le sentiment qu'il me
reste encore beaucoup, sinon à apprendre,
du moins à découvrir. Rien n'est
acquis. Il faut sans cesse se remettre en question.
De toute manière, si on ne le fait pas
tout seul, la vie s'en charge ! Je connais
ces allers-retours qui font partie de notre métier.
Il y a des périodes où l'on est
beaucoup dans la lumière et qui sont très
épanouissantes, et d'autres où l'on
y est moins – mais qui ne sont pas
moins enrichissantes. Ce qui est important, c'est
de garder le désir et de conserver sa liberté
de choix. Le succès n'est pas un but en
soi, c'est seulement une conséquence. Et
si l'on s'engage dans un projet uniquement dans
le but d'avoir du succès, il y a déjà
quelque chose de foutu à la base.
Patrick Bruel : D'autant
qu'il n'y a pas de recette. Dans tout succès,
il y a une part de magie, de chance...
Nathalie Baye : Et les échecs,
on le sait, ça fait grandir.
Studio
(À N. Baye) : Dans la période
où vous étiez moins dans la lumière,
avez-vous craint que ça ne revienne pas ?
Nathalie Baye : Je n'ai
jamais pensé que je n'allais pas continuer
à faire mon métier. D'ailleurs,
j'ai travaillé, j'ai fait des films à
l'étranger, j'ai fait du théâtre.
Non, mes doutes et mes vertiges, ce n'est pas
dans ma vie professionnelle qu'ils sont le plus
forts... Vous savez, parfois, les films ne marchent
pas, mais on y fait des rencontres qui, aussi
bien humainement que professionnellement, se révèlent
finalement importantes... Ce qui est sûr,
c'est que les artistes que je connais et pour
qui j'ai de l'admiration ne se reposent pas sur
leurs lauriers...
Studio :
Et vous, Patrick, votre sentiment sur l'année
2003 ?
Patrick Bruel : Moi, c'est
depuis 1999 que je vis un rêve ! Après
cette période absolument insensée,
entre 1989 et 1995, où il s'est passé
quelque chose d'inouï, d'incontrôlable,
cette surexposition à la fois professionnelle
et psychologique – ce qui, je m'en
suis aperçu, n'était pas toujours
agréable –, il a fallu que je
me remette en question, que je réfléchisse,
que je fasse un peu le dos rond, pour revenir
en ayant digéré, "maturé"
beaucoup de choses. Et c'est vrai que depuis 1999,
depuis l'album Juste avant, tout s'est
merveilleusement enchaîné, jusqu'à
cette apothéose de l'album Entre deux
et la tournée qui a suivi... Je ne sais
pas si l'on peut parler de hasard, mais c'est
le charme et la douleur de ce métier que
de devoir sans cesse rester en éveil, s'interroger,
tenter d'autres expériences, rester en
mouvement. Le succès a forcément
des vertus...
Nathalie Baye : Il dynamise...
Patrick Bruel : Mais il
a aussi des dangers : celui de vous persuader
que vous avez raison. Et vous risquez alors de
ne plus prendre de risques !
Studio
(À P. Bruel) : Après avoir
été peu présent au cinéma
ces dernières années, vous êtes
revenu petit à petit, comme pour reconstruire
votre image d'acteur : un petit rôle
dans Les jolies choses, un plus grand
dans Le lait de la tendresse humaine...
Avez-vous eu peur, à un moment donné,
d'être prisonnier de votre image de chanteur ?
Patrick Bruel : Dans cette
période de reconstruction, le théâtre
a beaucoup compté. [Il a joué Le
limier avec Jacques Weber.] Je retrouvais
mon plaisir, ma réputation d'acteur. J'ai
accepté le défi de devoir reconquérir
mes galons de comédien. Je pense que, sur
ce chemin, Une vie à t'attendre
est une bonne étape ! (Rires.) Aujourd'hui,
je ne suis pas un acteur qui chante, ni un chanteur
qui joue la comédie, je suis un acteur
et un chanteur. Quand j'arrive, il n'y a plus
de confusion possible. Les cartes ne sont plus
brouillées. Lorsque l'album Juste avant
est sorti, mon frère [David Moreau, qui
a signé la musique d'Une vie à
t'attendre] m'a dit : « Je
suis sûr que ça va t'amener des rôles
au cinéma... » II avait raison.
Je le vois à la lecture des scénarios
que je reçois, aux jeunes réalisateurs
qui m'appellent et qui veulent tenter l'aventure
avec moi... Un tournage harmonieux, ça
donne envie : je suis sorti du film de Thierry
en ayant envie de recommencer le lendemain !
Nathalie Baye : Moi, c'est
par vagues. J'ai toujours pensé que la
vie à côté était importante,
d'autant qu'elle nourrit aussi notre travail.
Je n'essaie pas d'organiser ma vie professionnelle :
je prends les choses comme elles viennent. Si
un film doit se faire et qu'il est décalé,
j'en profite pour faire autre chose...
Patrick Bruel : T'est-il
arrivé d'avoir à faire un choix
douloureux entre deux films et de devoir en laisser
un ?
Nathalie Baye : Oui. Diane
[Kurys] m'avait proposé Coup de foudre,
alors que je venais de signer J'ai épousé
une ombre. Je ne pouvais pas revenir en arrière.
Heureusement, dans son film, Isabelle [Huppert]
et Miou-Miou sont épatantes. Je suis assez
fataliste : je me dis qu'on ne peut pas forcer
les choses. Mais, c'est vrai, il y a des moments
dans la vie où l'on est pile poil en harmonie
avec ce que l'on ressent, ce que l'on représente
et ce que les gens veulent de nous. Et puis il
y a des périodes où on l'est moins.
Je me souviens de la fête de fin de tournage
de Paparazzi, où, gentiment, tu
étais venu faire un bœuf. Tu avais
chanté, c'était formidable, et pourtant,
j'avais senti, à une ou deux de tes réflexions,
que tu étais en souffrance à ce
moment-là. J'ai vu un homme dans la douleur.
Je te connaissais peu, alors, mais cela m'avait
marquée...
Patrick Bruel : C'était
quand, en 1997 ? Oui, sans doute... C'est
vrai que ça n'allait pas fort à
ce moment-là.
Nathalie Baye : Eh bien,
je pense que, cette période, parce qu'elle
a été douloureuse, t'a fait grandir.
Si l'on était toujours dans le succès,
on deviendrait vite couillon. Le succès,
c'est génial, mais comme il change aussi
le regard des autres sur soi, il y a un moment
où l'on peut se prendre pour le roi de
la piste...
Patrick Bruel : C'est ce
que je disais tout à l'heure. Il peut te
conforter dans l'idée d'avoir raison. Et
il n'y a rien de pire. Les échecs, les
coups de bâton, au moins, ça te fait
réfléchir, ça te laisse en
éveil...
Studio :
Vous avez tous les deux été surmédiatisés,
à certains moments de votre vie. Aujourd'hui,
est-ce que vous vivez ce rapport à l'image
plus sereinement ?
Nathalie Baye : Oui. Ce
qui m'est difficile, c'est d'enchaîner promotion
sur promotion, comme je l'ai fait cette année.
Je veux défendre avec enthousiasme les
films que je fais et que j'aime, mais pas à
n'importe quel prix, pas dans des émissions
que je ne sens pas... Pour le reste, pour l'image,
j'essaie de m'en moquer. D'abord, parce qu'on
ne peut rien contrôler. Ensuite, parce que
je pense qu'à force de trop vouloir plaire,
on finit par faire des bêtises. Déjà,
pour avoir la liberté de jouer, il ne faut
pas avoir peur de déplaire et, en premier
lieu, de se déplaire. On veut tellement
être aimés, nous autres, les acteurs,
qu'il faut parfois faire attention que cela ne
devienne pas trop paralysant...
Patrick Bruel : Pour tout
ce qui est de la surexposition professionnelle,
ça, j'ai appris à gérer,
ce n'est pas sorcier. Même si, dans l'euphorie
du succès, on peut commettre quelques erreurs.
C'est le métier, on connaît les tenants
et les aboutissants. Ce n'est pas la même
chose avec la presse à sensation. La vie
privée, les mauvaises photos, les légendes
qui font mal, ça ne fait pas plaisir, ça
ne tombe jamais bien ! Je veux bien me faire
une raison, mais dès qu'il s'agit de mon
enfant, je ne me fais plus de raison. Je n'ai
plus aucune indulgence. D'ailleurs, ton exemple
est exceptionnel. Jamais on n'a vu Laura dans
les magazines avant qu'elle le décide,
avant qu'elle soit actrice.
Nathalie Baye : Mais, tu
sais, c'est un full time job !
Studio :
Si vous ne deviez garder qu'une seule image de
l'aventure d'Une vie à t'attendre ?
Nathalie Baye : Celle-ci !
(Et elle imite Patrick Bruel accroché à
ses deux téléphones portables et
elle éclate de rire. Bruel aussi !)
Non, plus sérieusement, ce serait assurément
l'image de Thierry nous regardant jouer. Sa concentration,
son plaisir, son œil de lynx.
Patrick Bruel : Oui, moi
aussi. Et son émotion à me voir
jouer ce rôle qu'il avait écrit.
Son exigence. Sa manière de prendre du
bonheur tout en n'étant jamais satisfait,
tout en cherchant toujours à aller plus
loin, à obtenir mieux. Il a réalisé
son rêve, il a réussi un beau film,
il l'a tourné avec les acteurs qu'il voulait
et avec les gens qu'il aime. Maintenant, c'est
au public de décider de la suite. Mais,
lui, il a déjà eu cette émotion,
ce plaisir... C'est ce qui compte.
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