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Article
paru dans TéléCinéObs,
le 11 Mars 2004
Nathalie Baye,
trente ans de cinéma, jamais en panne,
défend la prise de risque contre le paraître
et la raison contre le vertige. Femme de tête
à la ville, femme fatale aujourd'hui aux
côtés de Patrick Bruel dans le premier
film de Thierry Klifa.
Une vie à t'attendre,
de Thierry Klifa
Par Marie-Elisabeth
Rouchy.
« Pour
une amourette / qui passait par là / j'ai
perdu la tête / et puis me voilà
/ pour une amourette / qu'était trop jolie
/ je me suis fait honnête / et j'ai perdu
la vie. » C'est une amoureuse
qui chante Leny Escudero sous la pergola d'une
trattoria d'un village en Italie... Nathalie Baye
dans un nouveau numéro – chanté :
le plus joli moment d'Une vie à t'attendre,
de Thierry Klifa. La mise est simple, la voix
chaude et le sourire, lumineux, un sourire qui
danse jusque dans les yeux. La marque de fabrique
de l'actrice, ce sourire ! À prendre
avec le rire, impulsif et gai ; discret.
À l'écran, l'un et l'autre ont souvent
été ses jokers. À la ville,
c'est son élégance. Une manière
de politesse pour s'excuser d'être là,
presque chaque trimestre et parfois plusieurs
fois. Cinq films en un peu plus d'un an ;
de gros morceaux : Catch Me if You Can,
de Steven Spielberg, la Fleur du mal,
de Claude Chabrol, France Boutique, de
Tony Marshall, les Sentiments, de Noémie
Lvovsky, et cette Vie à t'attendre
où elle joue avec le cœur de Patrick
Bruel. Mère de famille, politique en campagne,
esseulée alcoolo, aventurière, c'est
bingo à tous les coups, en anglais et en
français, chez des réalisateurs
jeunes et moins jeunes : « Je
suis curieuse, j'aime qu'on m'embarque »,
dit-elle, déjà un pied dans une
autre aventure. Période faste qui dure
depuis près de trente ans – et
la Nuit américaine, de François
Truffaut – avec un maigre tunnel entre
1985 et 1990, entre Détective
(de Godard) et Un week-end sur deux (de
Nicole Garcia). « J'ai souvent
peur qu'on me voie trop. Je me dis : les
gens en ont assez. Arrête. Et puis il y
a des propositions intéressantes, j'ai
envie d'y aller, j'y vais. »
Elle est d'ailleurs ailleurs, sur un projet de
Claude Berri avec Daniel Auteuil, Charlotte Gainsbourg
et Pierre Arditi, déjà en plein
boulot. S'excuse. « À
force de voir ma tête dans les journaux,
on pourrait douter de ma sincérité :
on est là, on a cru à un film, on
en dit du bien. La démarche est honnête,
mais... » Elle a peur d'être
lénifiante, Nathalie. Préférerait
– gentille idée pour les copains –
défendre leurs œuvres plutôt
que les siennes : « Ce
serait plus objectif. »
C'est une femme
à paradoxes : ex-danseuse, un jour
sur les pointes, et l'autre, solidement arrimée
au sol. « J'ai besoin de mettre
la prise de terre », bafouille-t-elle
régulièrement pour justifier un
départ chez elle dans la Creuse ou un voyage,
pour décliner une invitation. Notez :
on ne voit jamais la comédienne hors période
de promo ; jamais de photo dans un cocktail,
pas de soirées mondaines ; elle se
couche tôt, se lève tôt, savoure
les petits matins. Actrice, pas cabotine. Sur
un plateau, autre chanson : elle fonce, risque-tout
physique et mental. Il faut la voir, joyeusement
éméchée, dans Les Sentiments,
vraiment cinglée en fashion victim et le
nez dans la cocaïne dans Absolument Fabuleux,
pour se convaincre qu'elle se fiche de préserver
son capital glamour. « Ça
ne m'intéresse pas. Autrement, ça
voudrait dire que je ne vais pas m'amuser. Ce
n'est pas le paraître qui donne la meilleure
image d'un acteur. »
Dans le film
de Thierry Klifa, très femme fatale, elle
est pourtant à croquer : « Cela
faisait longtemps que je n'avais pas joué
les amoureuses. J'étais plutôt dans
la non-séduction : des femmes trompées
et qui picolaient. Ça m'a fait du bien.
Dans une carrière, vous savez, on fait
souvent un rôle en réponse à
un autre. » L'âge ?
« C'est normal que le temps
se voie sur un visage. Il faut s'en fiche, prendre
tant de plaisir à rentrer dans le personnage
qu'en se regardant, on ne voit plus que son jeu.
Moi, je joue de plus en plus sur la composition,
une tenue, une attitude ; et puis l'envie
d'étonner. La grande affaire de ce métier
n'est pas d'être bon dans "un"
film ou d'être belle, c'est de durer et
de s'accrocher. » Dans les
productions, Nathalie Baye n'impose ni coiffeur
ni maquilleuse mais pilote volontiers les réalisateurs
vers tel ou tel accessoiriste.
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