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Article
paru dans CINÉ LIVE n°66,
mars 2003
NATHALIE BAYE PART EN CAMPAGNE
Par
Philippe Paumier.
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Dans sa partition
au long cours et sans fausse note, il manquait
juste à Nathalie Baye quelques accords
débridés. Solo accompli à
la clarinette (Ça ira mieux demain)
ou au clairon (Absolument fabuleux),
peu importe le flacon pourvu qu'elle ait l'ivresse.
Et qu'elle nous la communique encore, le sourire
chavirant, après trente ans de carrière.
Mauvais chic mauvais genre, la polititocarde quelle
incarne avec délectation dans La fleur
du mal mérite tous vos suffrages...
Ciné
Live : Lors de notre dernière
rencontre, vous disiez rechercher des cinéastes
qui "vous bousculent, vous enrichissent".
Est-ce que Steven Spielberg, malgré le
tournage éclair de Arrête-moi
si tu peux, fait partie de ceux-là ?
Nathalie Baye : Oui, parce
qu'on peut tourner onze semaines avec un réalisateur
qui a peu de personnalité, qui ne vous
apporte pas grand-chose, et puis se retrouver
dix jours avec quelqu'un de totalement habité
par le cinéma. Spielberg, c'est une vraie
rencontre. Une rencontre avec un auteur, avec
un univers. C'est un homme avec qui on est immédiatement
en prise, il a une timidité qui n'est pas
dérangeante parce qu'il est très
chaleureux. Il aime les acteurs et fait tout pour
qu'on soit heureux de tourner. C'était
une expérience enrichissante...
Ciné
Live : Et ludique, lorsque l'on
se retrouve mariée à Christopher
Walken et maman de Leonardo DiCaprio ?
Nathalie Baye : Hors norme !
Le premier jour, j'avais l'impression d'être
piégée par la caméra invisible :
j'avais un fauteuil à mon nom, Spielberg
qui blaguait, DiCaprio qui me faisait envoyer
des mails à un ami commun... Je n'arrivais
pas du tout à être dedans !
Finalement, c'est un petit rôle, mais il
existe, et je suis quand même restée
un mois à Los Angeles. J'ai eu le temps
de m'imprégner de l'ambiance, le temps
d'avoir envie de rentrer chez moi, aussi... (rires)
J'ai aimé l'intensité du travail :
chacun donne son maximum, y compris les acteurs
qui viennent pour une journée. À
Hollywood, personne ne vient pour "panouiller".
Sinon, rien de négatif... sauf que je me
sens très européenne, c'est bien
d'accepter le voyage mais je ne pourrais pas vivre
à Los Angeles, c'est assez oppressant.
De toute façon, il n'en est pas question !
Ciné Live
: Revenons sur "les réalisateurs qui
vous bousculent". On a du mal à imaginer
que ce soit le genre de Claude Chabrol !
Nathalie Baye : La réputation de Chabrol
n'est pas bidon : II est jubilatoire de
travailler avec lui parce que c'est quelqu'un
d'ouvert, de drôle, d'intelligent, de curieux,
qui sait vous emmener là où il faut
sans aucune violence. Les acteurs ont souvent
besoin qu'on leur parle beaucoup, mais la direction
d'acteurs, ça peut être aussi de
nous regarder, de nous aimer, comme l'a fait Claude...
Ce qui peut vous bousculer, c'est de se voir offrir
un rôle hallucinant comme celui d'Anne Charpin-Vasseur
: c'est un style de femme qui existe, à
la limite de l'idiote, de la caricature, mais
qui s'active aussi avec courage pour éviter
de réfléchir à sa vie.
Ciné
Live : Dans quelle direction Chabrol
vous a-t-il guidée ?
Nathalie Baye : Nulle part !
Dès que j'ai lu le scénario, je
l'ai vue, cette Charpin-Vasseur, j'ai senti ce
personnage plus que je ne l'ai réfléchi.
Je ne me suis inspirée d'aucun politique
en particulier, je ne sais pas imiter. Il suffit
de voir les photos de n'importe quel gouvernement :
les femmes ont toujours des tailleurs délirants,
avec des couleurs affriolantes, pour s'affirmer.
J'ai porté des trucs que je ne mettrais
jamais, plus la bague avec ses armoiries, le catogan...
et cette atroce chouquette sur la tête !
La séduction en prend un sacré coup,
mais si ça nuit à mon image, je
m'en fous, c'est mon travail d'actrice. Quand
on a 20 ans, on est très à l'affût
de son image, en tout cas on cherche à
s'aimer, à s'accepter. Au début,
je me trouvais très moche et, petit à
petit, j'ai fini par m'apprivoiser. Une fois qu'on
y arrive, c'est absurde de continuer à
vouloir se séduire, ou alors on ne peut
plus jouer. Dans un film, il y a des moments où
il ne faut pas avoir peur d'être moche et
ridicule, parce que c'est le personnage qui doit
primer.
Ciné
Live : Où est-ce que vous
avez déniché ce sourire de politicienne
en campagne ?
Nathalie Baye : Je n'ai
pas visionné des tonnes de cassettes, il
y a juste un moment où vous sentez que
vous avez visé juste. Cette femme, il fallait
qu'elle sache se vendre sans en faire des tonnes,
et, dans sa vie privée, qu'elle fasse bonne
figure face à son mari. Je la trouve convenue,
ambitieuse, insupportable, mais aussi vaillante,
ce qui la rend attachante... enfin, pathétique...
disons que ce n'est pas une garce ! On peut
s'en moquer – elle n'est pas tendance,
c'est certain (rires) –, la trouver
crispante mais, comme la plupart des rôles
que je défends, elle n'est pas d'un seul
bloc.
Ciné
Live : Est-ce que vous ne trouvez
pas qu'en épinglant les arcanes de la politique,
Chabrol enfonce un peu facilement des portes ouvertes ?
Nathalie Baye : Peut-être,
mais il y a toujours une part de vérité.
Et puis, c'est surtout la bourgeoisie avec ses
fameux secrets de famille qui est au cœur
du film. Je n'y connais rien mais lorsque Anne
fait du porte-à-porte dans les HLM pour
aller glaner des voix supplémentaires,
ça me paraît plausible. Il y a aussi
des gens formidables qui travaillent dans la politique,
mais ce n'est pas le propos de Chabrol :
ces scènes font partie du côté
ludique de l'histoire, forcément axée
autour de personnages très caractérisés.
Ciné
Live : Depuis quelques films, votre
tempérament comique est de plus de plus
exploité. Est-ce une trajectoire que vous
avez enfin initiée ?
Nathalie Baye : Jusqu'à
présent, c'est au théâtre,
par exemple avec Adriana Monti, que j'ai
pu jouer sur un registre drôle. Un jour,
j'ai eu la chance de montrer que je pouvais faire
rire au cinéma, et je ne m'en suis pas
privée. Ça prend du temps, mais
ça y est : aujourd'hui, les gens se
disent : « Elle peut être
poilante ! »
Ciné
Live : Il faut peut-être aussi
provoquer cette chance...
Nathalie Baye : Mais j'ai
toujours dit que je voulais faire des comédies !
Seulement votre image vous échappe, alors
il faut faire ses preuves... Je crois que c'est
Une liaison pornographique qui a fait
avancer les choses : le personnage n'était
pas marrant, mais j'avais des scènes franchement
drôles, comme lorsque je prends l'initiative
de la déclaration d'amour. En fait, ça
s'est fait par petites touches : il y a eu
Barnie, puis Ça ira mieux
demain, puis Absolument fabuleux...
Mais c'est vrai qu'il faut qu'on me le propose :
je ne suis pas du genre à appeler quelqu'un
pour lui demander franco de m'écrire une
comédie.
Ciné
Live : Un mot sur Absolument
fabuleux. On peut comprendre que le rôle
de Patsy soit une occasion en or pour s'éclater
en tant qu'actrice, mais on a du mal à
croire que le film ne vous a jamais semblé
casse-gueule.
Nathalie Baye : C'est vrai
qu'on n'a pas envie de refuser un rôle comme
ça, mais je ne savais quasiment rien de
la série ni de son impact, donc je me suis
lancée dans le projet avec inconscience,
légèreté. Au début,
c'était la catastrophe, je pensais ne jamais
y arriver. Mais Gabriel ne s'est jamais découragé,
et puis Josiane a été une partenaire
de rêve, sans ego, une fille épatante.
Sans eux, je crois que j'aurais trouvé
un truc pour me débiner ! (rires)
La première semaine, je me voyais faire
les choses, des mimiques épouvantables
sans la moindre sincérité, et puis
il y a eu un déclic : je ne sais plus
ni quand ni pourquoi, mais... je me suis amusée.
Je n'étais pas contente de tout mais je
trouvais que le tandem avec Josiane fonctionnait,
alors j'ai tout envoyé péter et
je me suis lâchée...
Ciné
Live : Est-ce que vous diriez, comme
Jean-Pierre Bacri, votre partenaire dans Les
sentiments, que vient d'achever de tourner
Noémie Lvovsky, que vous ne faites pas
ce métier pour être aimée
à n'importe quel prix ?
Nathalie Baye : Totalement.
Je ne fais pas ce métier pour être
aimée ou pour m'aimer. Je ne suis pas amoureuse
de mon image. J'y fais attention mais ça
n'est pas un moteur. Je fais ce métier
parce que le jour où j'ai commencé
à travailler au Cours Simon, je me suis
sentie, pour la première fois de ma vie,
dans mon élément. J'étais
une mauvaise élève à l'école,
je faisais beaucoup de danse mais je souffrais
beaucoup pour un plaisir qui, en échange,
n'était pas suffisamment fort. Subitement,
lorsque j'ai travaillé ma première
scène avec On ne badine pas avec l'amour,
je me suis trouvée en confiance dans les
mots des autres. J'étais bien. Tout me
paraissait simple. Ça ne m'a jamais pesé
de travailler, de chercher, quitte à me
tromper : j'étais dans mon élément,
comme d'autres le sont en écrivant, en
courant, en soignant des gens. Et je le suis toujours,
voilà ! (sourire à tomber)
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