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Article paru dans MARIE
FRANCE n°96, février 2003
Provinciale rangée un tantinet
dépressive, pute, mère indigne,
esthéticienne blessée, amoureuse...
Nathalie Baye sait jouer tout ce qu'une
femme peut être. Aussi parfaite aujourd'hui
en (mauvaise) mère de voyou génial
(le beau Leonardo DiCaprio), dans le nouveau
film de Spielberg, Arrête-moi
si tu peux, qu'en bourgeoise bordelaise
à catogan qui brigue les municipales
dans le nouveau Chabrol (très chabrolien),
La fleur du mal.
Par
Marie-Claude Treglia. |
Petite jupe noire,
petit pull noir, petites lunettes en écaille,
ton sur ton avec les cheveux, vaguement au carré,
et une sorte de frange qu'elle ébouriffe
du bout des doigts, quand elle se concentre...
C'est vrai que Nathalie Baye a quelque chose de
discret, un peu passe-muraille. Très "comme
vous et moi". Au premier regard...
Comme lieu de rendez-vous, elle a choisi l'hôtel
Lutétia. « Pas très original,
mais c'est pratique. » Elle prévient
tout de suite, avant qu'on se le dise. À
trois pas de chez elle, cosy comme il faut, intime
mais pas trop... L'endroit lui va bien. Une vieille
habitude, entre elle et les journalistes.
Posée bien droite sur son fauteuil, elle
commande un Darjeeling. La jupe s'entrouvre, cuisse
parfaite. Dentelle noire, bottes plates. Plus
tard dans la conversation, ce sera un paquet de
Marlboro light (« On a fumé comme
des dingues sur mes derniers tournages, j'ai repris...
»). « Avec une pochette d'allumettes,
s'il vous plaît monsieur. » Voix un
peu haut perchée. Sûre. Saccadée.
Pas sûre?
Toujours entre deux, Nathalie Baye, ou plutôt
deux en une. Au moins. Discrète oui, polie
à la perfection, en effet. Attentive, appliquée...
Mais prête à mordre, on le sent bien,
si l'on se risque en terrain protégé
(Laura, la «vie privée»...).
Il y a du fauve sous la peau douce, une élégance
toute cristalline. Ça casse, et ça
coupe. Avec un truc, absolument irrésistible,
ce sourire du fond des yeux, un flash qui illumine
chaque parcelle du visage, et vous inonde comme
sans faire exprès.
Rencontre avec une insaisissable. Rodée
au jeu des questions, mais pas blasée,
elle parle du cinéma, de ses hauts, de
ses bas, de ses rôles, de ses amis, de sa
famille... L'intime, elle le suggère. Avec
grâce.
Marie
France : Un film avec Spielberg
et un avec Chabrol, qui sortent sur les écrans
à une semaine d'intervalle. Deux expériences
totalement différentes ?
Nathalie Baye : Deux grands
metteurs en scène, deux grandes rencontres.
J'étais très curieuse de rencontrer
Spielberg, un amoureux fou du cinéma, un
peu comme Truffaut pouvait l'être, émerveillé
par son joujou... Quand j'ai reçu cette
proposition, j'y suis allée haut les coeurs.
Même si c'est un petit rôle. Je m'en
fous, je n'ai pas de plan de carrière.
C'est avant tout un film de mecs, comme majoritairement
le cinéma américain, mais le rôle
m'amusait.
Marie France :
Vous incarnez la mère d'un grand faussaire
international ?
Nathalie Baye : Oui, une
mère qui picole un peu, qui fume beaucoup.
D'où... (geste vers la cigarette qu'elle
tient à la main). Depuis un certain temps,
on me propose toujours des rôles de bonnes
femmes qui picolent et qui fument. Le contraire
de ce que je dégage, peut-être...
Marie France :
Un bon fils, Leonardo DiCaprio ?
Nathalie Baye : En tout
cas, un jeune homme épatant, épatant
de normalité. Vous savez, on peut tous
surjouer, en faire des tonnes. Être normal,
du moins en donner l'impression, je trouve ça
très original.
Marie France :
Un peu raide, la bourgeoise en campagne que vous
incarnez dans La fleur du mal, entre
son tailleur-camisole et sa coiffure inouïe...
Nathalie Baye : Anne Charpin
Vasseur est un personnage très très
loin de moi, un vrai rôle de composition
qui m'a énormément amusée.
Je me suis fait une tête pas possible, avec
un catogan et une sorte de choucroute... (Rires.)
J'étais ravie d'enlever mon costume le
soir... Ce tournage pour moi a été
vraiment jubilatoire. Ma rencontre avec Chabrol,
magnifique.
Marie France :
La femme de la cinquantaine a une place de choix
dans le cinéma d'aujourd'hui...
Nathalie Baye : Une vraie
chance en France, contrairement aux États-Unis
où les comédiennes se plaignent
de ne plus travailler, passé un certain
âge. Susan Sarandon, Meryl Streep... Nous
avons, nous, toute une génération
d'actrices, entre 45 et 55 ans, qui travaillent
énormément et sont très gâtées.
C'est tout à l'honneur du cinéma
français.
Marie France :
Un phénomène nouveau ?
Nathalie Baye : Non. Regardez
Danièle Darrieux, Michèle Morgan,
Micheline Presle... Ce sont des carrières
longues. Avec des hauts et des bas. Moi, j'ai
connu des bas quand j'étais plus jeune,
et puis des hauts... Toutes les longues carrières,
des hommes comme des femmes, sont comme ça.
Marie France :
Les bas, vous les avez vécus comment ?
Nathalie Baye : J'ai eu
des moments de cafard. Mais je n'ai jamais eu
la tentation d'arrêter. Jouer, c'est l'une
des choses que j'aime le plus au monde. C'est
vital pour moi, ça fait partie de mon équilibre.
Les moments de doute, de peur, font partie du
métier. Dans ce métier, le talent
de savoir vivre ses hauts et ses bas, ses pleins
et ses vides, est essentiel. Si on était
tout le temps dans du coton avec des paillettes,
on n'avancerait pas. Quand on est tout le temps
gâté, on finit par trouver ça
normal. Chaque fois que j'ai eu de bonnes choses,
un beau rôle, une grande rencontre, j'ai
su les apprécier, les déguster.
Marie France :
Les moments où l'on tourne moins sont peut-être
un temps de retrouvailles avec soi. En accumulant
les tournages, n'a-t-on pas parfois l'impression
de se perdre ?
Nathalie Baye : Je ne me
suis jamais perdue. On ne se perd pas dans les
choses qu'on aime... Tous les voyages vers les
personnages, même très loin de moi,
ne me posent aucun problème. Je n'ai jamais
eu le sentiment, à cause d'un rôle,
de perdre pied dans ma vie... Ce qui peut me déstabiliser,
ce sont des choses de la vie, pas celles du travail.
Il m'arrive d'être fatiguée, comme
tout le monde, de me dire « après
ce tournage, j'arrête pendant cinq mois »...
Mais juste pour pouvoir consacrer du temps au
reste. La vie, le quotidien, ma vie de mère
et de femme, mes amis, lire, traîner dans
Paris, regarder ce qui s'y passe, voyager... Et
ne rien faire aussi. J'adore m'ennuyer.
Marie France :
Et quand on enchaîne les tournages, comme
vous ces dernières années, on s'habitue ?
Nathalie Baye : On ne s'habitue
pas à des choses comme ça. Un tournage
reste toujours quelque chose d'unique. Jouer est
pour moi quelque chose d'extrêmement naturel,
ce n'est pas difficile. En même temps, j'ai
toujours une espèce d'appréhension
quand j'entre dans un nouveau rôle, et j'espère
que je la garderai toujours...
Marie France :
Vous êtes de plus en plus belle. Ça
crève l'écran, et vos réalisateurs
en font tous la remarque... Vous en pensez quoi,
vous ?
Nathalie Baye : (Rires.)
Un jour, avec un ami, je regardais un film avec
Ventura à ses débuts. Et je lui
disais : « II est tellement moche,
pourquoi on le trouve beau maintenant ? »
Il m'avait répondu : « Je
crois qu'on s'habitue... » (Rires.)
Quand je me vois à l'écran, parfois
je suis horrifiée. Quand on se regarde
dans un miroir (je n'ai pas de glace à
trois faces, je n'aime pas ça), des fois
on se trouve bien, des fois on se trouve moche...
Se voir filmée, c'est différent.
Il y a des moments où on se met dans des
états pas possibles, à cause du
rôle, et moi quand je joue, je ne pense
pas du tout à mon image, ça m'angoisse...
C'est très difficile après de se
regarder. Même sur le tournage, je ne me
regarde pas...
Marie France :
Tout le monde s'accorde, en tout cas, pour vous
trouver embellie...
Nathalie Baye : Je crois
qu'il y a des moments dans la vie où l'on
est en harmonie, d'autres moins. Entre 20 et 30
ans, je ne l'étais pas vraiment. À
30 ans, je suis arrivée à une espèce
d'harmonie. C'est l'évolution... En ce
moment, je me sens plutôt en harmonie. Mais
ça dépend aussi des jours. La semaine
dernière, j'étais malade comme un
chien, je ne me sentais pas du tout en harmonie...
(Rires.)
Marie Claire :
Pour entretenir un corps de sylphide, vous avez
une discipline draconienne ?
Nathalie Baye : On fait
toutes attention à ne pas se laisser aller,
on met des produits, on fait du sport... Mais
rien de particulier, non. Je suis très
gourmande, mais j'ai la chance de ne pas aimer
les trucs gras, mauvais pour la peau... Je fume
deux-trois cigarettes par jour, pas plus. J'essaie
d'avoir une hygiène de vie, nécessaire
dans ce métier, mais je n'ai pas de secret.
J'ai été danseuse professionnelle,
ça donne des bases. Après de longues
périodes où je n'ai le temps de
rien faire, quand je me remets à la gym,
ça va vite...
Marie Claire :
La chirurgie esthétique, vous trouvez ça
envisageable ?
Nathalie Baye : Aux gens
qui disent « Ah la la, elle a dû
se faire faire un lifting », j'aimerais
répondre « Non, ce sont les
photos à qui on fait des liftings, on arrange »...
Le jour où je trouverai que ça dégouline
trop, j'y penserai... Je crois que le jour où
l'on ne s'aime plus, on se dit pourquoi pas. Ça
me paraît logique. Mais il faut faire attention
à ne pas tomber dans le jeunisme. Il n'y
a rien de pire que les gens qui n'ont plus d'âge.
Quand on sait qu'une femme a un certain âge,
et que son paraître n'a plus rien à
voir. Tant que l'harmonie est à peu près
au rendez-vous, ça va.
Marie France :
Votre fille Laura a 19 ans, elle est comédienne.
La jeune fille que vous étiez à
son âge lui ressemblait ?
Nathalie Baye : Oui et non.
À son âge, j'étais dans une
école de danse professionnelle. J'avais
quitté l'école bien avant elle,
à 14 ans. Pour la danse. Avant de faire
le Cours Simon et le Conservatoire... Et puis,
elle et moi n'avons pas eu la même enfance.
Même si, moi non plus, je ne viens pas d'un
milieu "classique". Mes parents étaient
artistes peintres. J'avais un père qui
allait travailler "quand la lumière
était belle"... Évidemment,
maintenant, je me dis « quelle merveille »,
il a 80 ans, et continue à peindre et dessiner...
Mais enfant, quand j'allais chez des copines dont
le père partait le matin, très sérieux,
avec un cartable et des documents, je me disais
« quelle chance ». Elles
avaient quelque chose d'établi, de rassurant...
Marie France :
Laura vous a demandé votre avis avant de
se lancer dans le métier ?
Nathalie Baye : Laura est
un peu comme moi, l'école l'ennuyait à
mourir. Un jour, elle ma dit « Maman,
je perds mon temps, donne-moi ma chance, je voudrais
entrer dans un cours de théâtre »,
et voilà. Je ne l'ai pas poussée,
je ne me suis pas opposée non plus, au
même titre que mes parents ne se sont pas
opposés à ma décision. J'ai
laissé faire. C'est très émouvant,
bien entendu, de la voir aujourd'hui... Mais je
pense que tout ça est un peu logique, quand
on a grandi dans un certain milieu... Même
si, pendant tout un temps, on refuse d'avouer
son envie de faire pareil. Il y a des familles
de charpentiers, des familles de médecins...
Marie France :
Mère/fille. Le lien doit être particulièrement
serré quand on partage la même passion ?
Nathalie Baye : Nous sommes
très liées, c'est vrai. Avec une
grande complicité. Et, en même temps,
je la laisse tranquille, j'essaie de ne pas être
trop emmerdante, de ne pas expliquer comment il
faut faire... Elle est très consciente
des difficultés de ce métier, elle
voit à la maison des gens connus mais aussi
des gens pleins de talent et qui ont beaucoup
de mal. On ne voit pas que des vedettes... Et
elle connaît mon discours par cœur.
Je ne crois qu'aux vertus du travail. À
la nécessité d'avoir, à côté,
une vie très solide, et de ne pas croire
qu'on est le roi de la piste quand le succès
vous arrive d'un coup...
Marie France :
Qu'avez-vous envie de lui transmettre ?
Nathalie Baye : Le sens
des valeurs, même si ça peut paraître
idiot... Ne pas se disperser, conduire sa route.
Savoir ce qu'on veut. S'amuser, rire, et savourer
la vie, bien entendu, mais ne pas se laisser avoir
par l'extérieur à paillettes...
Marie France :
Ce dont vous parlez, ce sont des règles
morales ?
Nathalie Baye : Exactement.
Je trouve extrêmement confortable d'être
moral. Ne pas trahir, ne pas tricher, ne pas mentir,
ne pas abuser... J'ai été élevée
à cette phrase : ne pas faire aux
autres ce qu'on n'aimerait pas qu'on vous fasse.
Tant pis pour ceux qui ne la mettent pas en pratique.
Marie France :
Vous êtes très attachée à
votre passé ?
Nathalie Baye : Oui, sans
être passéiste du tout. J'aime bien
la nostalgie. Il y a une très belle phrase
de Modiano : « L'avenir c'est
le passé... » Un de mes meilleurs
amis est un ami d'enfance, nos mères allaient
à l'école ensemble et nos enfants
maintenant sont extrêmement liés.
Trois générations d'amitié...
On n'a plus besoin de s'expliquer...
Marie France :
Vous parlez souvent de la liberté...
Nathalie Baye : Je suis
une malade, une toquée de la liberté.
Cela doit venir de ma mère, qui a dû
souffrir d'être dépendante. Toute
petite, déjà mon idée fixe,
c'était m'assumer, ne pas être un
poids pour mes parents. Aujourd'hui encore, dès
que je ne me sens plus libre, dès que je
me sens enfermée dans quelque chose qui
ne me correspond plus, il faut que je m'échappe.
Je suis terriblement claustrophobe.
Marie France :
Vous dites même que jouer, c'est une manière
d'échapper à la « claustrophobie
du moi »...
Nathalie Baye : Oui, voilà.
Quand on est petit, on se raconte des histoires,
je serai ceci, je serai cela... Adulte, c'est
fini. Mon métier me permet de continuer
à rêver. À pouvoir m'évader
de moi. Dans ma vie privée, je n'ai absolument
pas besoin de composer quoi que ce soit, pas besoin
de me raconter des histoires. J'ai la chance qu'on
m'en propose, des histoires, la chance de rentrer
dans celles des autres... Ce formidable voyage
en plusieurs vies vous donne plusieurs expériences
et plusieurs mémoires. Toutes ces vies,
ces caractères à interpréter
que j'ai grattés, cherchés..., m'ont
nourrie et me donnent par moments l'impression
de connaître bien la vie.
Marie France :
Vous êtes une passionnée ?
Nathalie Baye : Par mon
métier, oui. Une passion qui laisse peu
de place à d'autres... En amour, je suis
plutôt une amoureuse. Une grande amoureuse.
(Sourire.) L'état amoureux, c'est ce qu'il
y a de mieux, même si ça rend parfois
un peu idiot... On trouve tout génial,
on n'est pas toujours très lucide, mais
tant pis. Ou tant mieux, ça donne des ailes,
et c'est le meilleur produit de beauté...
Marie France :
Que vous inspire demain ?
Nathalie Baye : Je ne suis
pas quelqu'un qui planifie, je n'ai pas de plans
pour demain. Des souhaits ? Il y a tant de
choses à souhaiter. Que le monde tourne
un petit peu moins mal... (Rires.) Pour le moment,
demain, j'ai du travail à faire. Je tourne.
Demain, je me lève à 6h moins le
quart, je pars à 6h et quart, il faut que
je sois à 7h à Orly au maquillage.
Voilà, demain, c'est ça.
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