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Article
paru dans POSITIF n°495, mai 2002
ENTRETIEN : Nathalie Baye.
L'essentiel est d'être disponible
Par Hubert
Niogret et Yann Tobin.
Peut-être en
raison de son apparente douceur et de sa discrétion,
les critiques ont toujours eu tendance à
sous-estimer le talent obstiné de Nathalie
Baye. Depuis quelques années, cependant,
grâce à une série de rôles
forts et inattendus, tous s'accordent à
dire qu'elle mène avec panache sa maturité
d'actrice, sans rien perdre de cette grâce
juvénile (forgée par la discipline
de la danse) qui avait fait d'elle l'une des vedettes
les plus populaires des années 1980.
Il suffit de parcourir sa filmographie pour constater
que, depuis ses débuts sous les auspices
de François Truffaut, Nathalie Baye a su
se choisir une voie personnelle, entre films d'auteur
et succès publics. Comme sa consœur
Isabelle Huppert, elle a travaillé avec
Pialat, Sautet, Goretta, Tavernier, Blier et Godard.
Pourtant, ce n'est pas de ces noms prestigieux
que lui est venu l'essentiel de sa célébrité,
mais de films tels que La Balance, J'ai
épousé une ombre et Le
Retour de Martin Guerre, ou encore des assauts
de la presse people.
Il a fallu, après un passage de carrière
délicat, qu'elle « se secoue »,
comme elle dit, pour faire reconnaître plus
que jamais sa détermination de comédienne,
prête à s'engager dans les univers
personnels d'auteurs originaux ou, significativement,
de réalisatrices complices et attentives
comme Nicole Garcia, Jeanne Labrune et Tonie Marshall.
C'est avec charme et humour, sans ménager
ses mots ni ses idées, qu'elle a accepté
de répondre à nos questions.
Positif :
Le tout début de votre carrière,
avec un petit rôle dans un film américain
de Robert Wise, est un peu marqué par les
États-Unis, où vous aviez séjourné
avant d'entrer au Conservatoire.
Nathalie Baye : Après
une école de danse professionnelle à
Monaco, je suis effectivement partie plus d'un
an aux États-Unis, où j'ai continué
à étudier la danse. De retour à
Paris, je suis allée au cours d'art dramatique
René Simon et je me suis présentée
au Conservatoire, où on ma proposé
ce petit rôle au bout de la deuxième
année. C'est la fameuse Margot Capelier
qui m'avait repérée, et j'ai eu
ce rôle dans Brève Rencontre
à Paris (1972) avec Peter Fonda, parce
que je ressemblais à l'actrice principale !
Positi :
Vous poursuivez « l'Amérique »,
mais d'une autre manière, avec La Nuit
américaine (1972) de FrançoisTruffaut.
Nathalie Baye : Cela fait
partie des rencontres décisives d'une existence.
Dans la vie, je crois énormément
au travail, ainsi qu'aux moments de chance qu'il
faut savoir saisir. Au cours d'art dramatique,
puis au Conservatoire, j'ai tout de suite aimé
jouer. Mais on était une génération
qui ne pensait qu'au théâtre, les
grands acteurs de théâtre nous faisaient
rêver, la scène était mon
objectif numéro un. Puis j'ai été
engagée par François Truffaut pour
La Nuit américaine. Donc, subitement,
je me suis retrouvée avec un metteur en
scène non seulement merveilleux avec les
acteurs, mais qui était aussi un grand
nom du cinéma français. En plus,
c'était un film sur un tournage de film,
avec tout ce que cela pouvait comporter de magique,
d'insolite. Je suis tombée amoureuse du
cinéma grâce à cela.
Positif :
Comment vous a-t-il proposé le projet de
ce rôle de scripte, qui a été
immédiatement relevé par la presse ?
Nathalie Baye : Je suis
allée le voir une première fois,
il a été adorable, mais il m'a dit
qu'il voyait dans ce rôle une fille qui
aurait fait plus « technicienne »
et moins « actrice de cinéma » !
(Le personnage était en effet inspiré
de sa fidèle collaboratrice Suzanne Schiffman,
qui m'avait elle-même croisée avec
mon agent Serge Rousseau.) Puis il m'a dit de
revenir le lendemain, et m'a donné la réplique.
J'avais une peur bleue. À la fin, il m'a
dit que c'était bon... et que j'allais
porter des lunettes : ma joie s'est mêlée
d'une cruelle déception quand je me suis
vue avec cela sur le nez ! Le scénario,
avec ses multiples personnages, ne m'avait pas
préparée à ce que le film
allait être : j'imaginais que les acteurs
qui jouaient les techniciens étaient moins
importants que ceux qui jouaient les acteurs !
À voir les rushes, j'étais tellement
consternée par mon apparence que je pensais :
« Il n'ose pas m'avouer qu'il s'est
trompé ! »
Positif :
Qu'avez-vous appris sur ce tournage ?
Nathalie Baye : Plus qu'appris,
j'ai compris le cinéma. Je pense n'avoir
jamais tourné un film par la suite sans
que cela m'évoque, à un moment ou
un autre, La Nuit américaine.
Tout était en double : le tournage
et l'histoire du tournage, les moments de maquillage,
l'intimité qu'il peut y avoir entre les
acteurs, les petites histoires d'amour...
Positif :
Comment ont évolué vos rapports
avec lui ?
Nathalie Baye : Dans La
Nuit américaine, où il jouait
lui-même le metteur en scène, il
avait établi entre nous des relations « de
potes » rappelant celles qu'il entretenait
avec sa scripte Suzanne Schiffman. On se charriait,
on plaisantait, il y avait cette complicité
particulière, différente des rapports
de séduction qu'il avait avec ses autres
actrices. Il voulait qu'on se tutoie parce que
nos personnages se tutoyaient dans le film, mais
on se redisait « vous »
dès la fin des prises de vues. Il m'a ensuite
proposé un petit rôle de remplacement
à la dernière minute dans L'homme
qui aimait les Femmes (1977), que j'ai volontiers
accepté. Pour La chambre verte
(1978), il s'était finalement résolu
à jouer le rôle principal, qui lui
était si proche. L'une des raisons pour
lesquelles il m'a choisie était que nous
avions déjà joué ensemble,
ce qui diminuait son inquiétude en tant
qu'acteur. Il me croyait même plus forte
que je n'étais, parce que le tournage s'est
avéré un peu dur pour moi ;
d'habitude, quand on dit : « Coupez ! »,
le metteur en scène vient voir ses acteurs,
alors que là il courait voir Suzanne Schiffman...
J'ai dû me débrouiller un peu toute
seule. Ce n'était pas toujours facile de
lui donner la réplique, parce qu'il avait
une manière de jouer et une diction particulière,
un peu fausse. Comme j'attrape facilement les
accents, je l'avais sans doute un peu vexé
en lui disant : « Pourvu que je
ne me mette pas à parler comme vous ! »
II m'a demandé pour ce film si je pouvais
répéter beaucoup avec lui en amont
du tournage. J'allais le voir assez régulièrement,
on discutait, il me posait même des questions
sur le scénario. J'ai trouvé sa
démarche touchante : il avait peur,
et avait besoin d'être rassuré par
sa partenaire.
Positif :
Aimez-vous revoir les films dans lesquels vous
avez joué ?
Nathalie Baye : Pas tellement.
Je comprends très bien que l'on puisse
apprendre à mieux s'aimer et se connaître
soi-même en se voyant sublimé par
la magie de l'écran. Mais ce n'est pas
du tout pour cela que je fais ce métier.
Je trouve mon équilibre en m'échappant
de ce que je suis pour aller vers un personnage :
ça me donne un sentiment de vivre plus
et mieux. Cet aller et retour entre des caractères,
des rythmes, des personnalités et moi me
convient parfaitement. Si je devais toujours être
moi-même... je serais moins bien avec moi-même !
Po sitif:
Est-ce parce que cela vous permet d'extérioriser
ce que vous avez du mal à exprimer dans
la vie ?
Nathalie Baye : Je peux
être timide, ou manquer de confiance en
moi, mais, quand je joue, tout s'efface. Un peu
comme les acteurs qui sont bègues ou ont
des tics, sauf quand ils jouent. Eh bien, quand
je suis dans les mots des autres, et dans la peau
d'une autre, cela m'aide à être extrêmement
bien dans la mienne. C'est l'une des raisons pour
lesquelles j'aime infiniment ce métier,
et qui m'est complètement naturelle. Une
autre raison, ce sont les rencontres : pas
seulement avec un réalisateur, mais aussi
avec un univers, des personnes, des lieux, des
cultures et des époques que je n'aurais
jamais connus autrement.
Positif :
L'important est donc pour vous le moment où
vous jouez, plus que le résultat ?
Nathalie Baye : Je dis toujours
qu'on fait trois films : on en imagine un,
on en tourne un deuxième et on en voit
un troisième. Bien entendu, je suis vigilante
quant au résultat, et j'espère que
ce sera le plus proche de ce que j'avais imaginé.
Je vois mes films. Mais je ne les revois pas fatalement.
J'arrive maintenant à accepter mon image
dans un film ; au début, c'est très
difficile de se voir. Ma satisfaction principale,
c'est bien le moment entre le « Moteur ! »
et le « Coupez ! ».
Et aussi la construction, l'approche, l'imaginaire,
le jeu, ce qui se passe sur un plateau, cette
espèce de dédoublement, de voyage,
cette intimité totale entre mon personnage
et moi, avec ce qu'on se vole l'un l'autre.
Positif :
Au cinéma, quelqu'un vous le vole une fois
pour toutes, alors qu'au théâtre
vous le retrouvez tous les soirs...
Nathalie Baye : Ça
ne me gêne absolument pas qu'on me vole,
j'aime autant les deux. C'est le jeu. Les comédiens
anglais ne vivent pas ce cloisonnement :
d'abord, ils doivent travailler ! Ils font
de la télévision, du cinéma,
du théâtre... Je les admire, car
ils ont une manière de vivre leur travail
qui est magnifique, et qui est reconnue :
les Français aiment bien leurs acteurs,
mais en Angleterre il y a une vraie reconnaissance,
un respect de leur traval. Quand j'y ai travaillé,
j'étais épatée par ces acteurs,
même dans les plus petits rôles, qui
sont à l'heure aux répétitions,
et savent leur texte au rasoir avant de commencer
le film. Ils ont une discipline que je rapproche
de celle de la danse, et je ne conçois
pas le métier autrement.
Positif :
Ils ont aussi un goût pour le côté
« histrion », qui les pousse
à créer des personnages totalement
différents de ce qu'ils sont.
Nathalie Baye : En France,
on a le mythe de la personnalité :
notre cinéma est une industrie qui crée
des « vedettes », et les
spectateurs doivent retrouver ce qu'ils aiment
en elles. Alors que ce qui me séduit le
plus dans mon travail, ce n'est pas d'être
moi-même, mais d'en être au plus loin :
plus le parcours est long entre le personnage
et moi, plus c'est jubilatoire !
Positif :
Avez-vous parfois souffert d'être cantonnée
à certain type de personnage ?
Nathalie Baye : J'ai eu
des moments où une espèce d'image
en demi-teinte et « raisonnable »
me collait à la peau ; elle venait
de films qui avaient été de gros
succès. Même si vous prouvez autre
chose, à travers des films qui n'ont rien
à voir, l'image commerciale l'emporte.
Je n'ai aucun talent pour décrocher mon
téléphone, pour mettre en chantier
les choses, et j'ai beaucoup d'admiration pour
ceux qui y parviennent ; il m'a donc fallu
du temps avant de réaliser que je devais
me secouer, prendre des initiatives. Mais j'ai
toujours eu envie de jouer des choses différentes
les unes des autres ; déjà
au Conservatoire, où les « emplois »
étaient souvent séparés entre
la jeune première, la tragédienne,
la soubrette... J'ai refusé les conseils
de mes professeurs, en préparant au concours
aussi bien Marivaux que La Putain respectueuse.
J'ai toujours pensé qu'un acteur devait
tout jouer. L'une des choses qui m'ont fait le
plus grand plaisir, c'est lorsque Bertrand Tavernier,
pour qui j'ai tourné Une semaine de
vacances (1980), m'a dit : « Tu
as de la chance, tu es crédible dans tous
les métiers. »
Positif :
Passer de Truffant à Pialat vous a-t-il
déroutée ?
Nathalie Baye : Une des
grandes chances de notre métier est de
pouvoir travailler avec des gens totalement différents.
Serge Rousseau, mon premier agent, m'avait dit
après La Nuit américaine :
« Ne t'imagine pas que le cinéma
soit toujours aussi paradisiaque. »
Immanquablement, j'ai enchaîné avec
La Gueule ouverte ! J'en garde un
souvenir inoubliable, certes avec des moments
durs, mais en compagnie d'un metteur en scène
exceptionnel, qui m'a énormément
apporté sur le plan artistique. Il est
vrai que c'était moins facile pour Philippe
Léotard – avec qui je vivais
alors –, parce qu'il jouait le rôle
de Pialat dans le film. Quant à moi, j'aime
bien m'adapter au caractère des gens. Même
les metteurs en scène les plus difficiles
sont des agneaux en comparaison des professeurs
russes qui m'ont appris la
danse !
Positif :
Pialat était-il plutôt directif ou
à la recherche de l'imprévu ?
Nathalie Baye : Il passait
de l'un à l'autre, il inventait, et en
même temps il saisissait des instants ou
des événements quand ils se produisaient,
comme un mariage qui traversait le village où
nous tournions !
Positif :
Comment avez-vous été dirigée
par des cinéastes aux personnalités
aussi contrastées que Claude Sautet, Maurice
Pialat et Jean-Luc Godard ?
Nathalie Baye : Mon expérience
fut malheureusement courte avec Sautet, sur Mado
(1976). J'en garde le souvenir d'un homme qui
me faisait rire, hystérique sous son parapluie,
un peu comme Louis de Funès quand il se
mettait en colère... et qui adorait les
acteurs. Il était incroyablement méticuleux
et savait exactement ce qu'il voulait, de la couleur
de l'eau du bain à la place des mèches
de cheveux. Truffaut, lui, m'a dit, alors que
je le complimentais à la sortie du Dernier
Métro : « Mais vous
savez bien que je ne dirige pas les acteurs ! »
C 'est vrai, il ne nous dirigeait pas. Comme il
avait un sens du casting fantastique, il se contentait
de nous décontracter, de nous libérer
de notre angoisse, de nous aimer. En revanche,
Godard est un fantastique directeur d'acteurs,
avec lequel il est impossible d'être mauvais :
c'est le nettoyage à sec, il vous lave
de toutes vos manies et vos scories ! Il
vous parle, vous déstabilise... Je l'ai
entendu dire cruellement à un acteur qu'il
avait « trop appris », et
au bout du compte, il l'a dépouillé
et rendu magnifique : c'est un cadeau. Je
pense qu'il faut savoir entendre des choses parfois
difficiles, si l'on veut s'améliorer ;
on ne peut pas toujours être dans la pommade,
les « ma chérie »
et les compliments. Sur Sauve qui peut (la
vie) (1979), Godard me disait que si j'avais
été une vraie professionnelle, j'aurais
dû faire quatre heures de vélo pour
venir au tournage, pour mieux coller au personnage !
Auparavant, il était venu chez moi à
la campagne, et, bizarrement, il ne m'avait pas
parlé une seule fois du film : il
me regardait vivre en prenant des notes, tout
en étant très gentil et attentif...
Pialat, lui aussi, essaie de prendre ce qui est
le plus pur. Il déteste les manières,
les trucs.
Positif :
Ont-ils des points communs dans la méthode ?
Nathalie Baye : Non, ce
sont des hommes différents. Leur point
commun, c'est le talent. Un talent qu'ils vous
donnent : quand on travaille avec quelqu'un
qui en a, un échange incroyable s'opère,
ça circule. Sans cet échange, on
est vidé ; on a l'impression de donner
sans recevoir.
Positif :
Avez-vous travaillé à partir d'un
scénario pour Sauve qui peut (la vie) ?
Nathalie Baye : Quand Godard
m'a proposé ce film, il m'a juste montré
une trame que j'ai trouvée splendide. Après,
il nous donnait les dialogues la veille pour le
lendemain ; cela ne me dérangeait
pas, puisqu'ils me convenaient. Tout est bon à
prendre, même si je me méfie de l'improvisation.
Avec Godard, j'ai appris la « disponibilité » :
puisqu'on ne sait pas grand-chose, l'essentiel
est d'être absolument disponible au moment
où on doit jouer. Et justement, « ne
pas savoir » vous apprend cela. Souvent,
lorsqu'on débute, on arrive avec des valises
remplies d'idées qui ne peuvent pas toujours
s'appliquer si votre partenaire, par exemple,
ou bien le décor, n'est pas comme vous
l'imaginiez. L'important, à partir du moment
où on a compris le personnage qu'on joue,
est d'être à l'écoute et de
s'adapter. Ensuite, peu importe si le texte vient
tardivement ou s'il fait un froid de canard.
Positif :
À la lecture d'un scénario, est-ce
que vous vous faites une idée précise
du personnage, ou est-ce que vous évitez
de le faire ?
Nathalie Baye : D'abord
j'imagine le film, puis je discute avec le metteur
en scène afin de voir si j'adhère
à sa vision, ensuite les idées fusent.
Il m'est arrivé de ne posséder le
personnage qu'à partir du premier jour
de tournage. Pour Une liaison pornographique
de Frédéric Fonteyne (1999), je
n'avais aucune indication sur le personnage de
cette femme, à part les scènes « présentes ».
Mais dès la première séquence,
celle du début de l'interview, les situations
et les dialogues formidablement écrits
ont suffi pour me donner le sentiment de l'avoir
trouvée.
Positif :
Par rapport au personnage, vous est-il déjà
arrivé de voir un film radicalement différent
de ce que vous aviez prévu ?
Nathalie Baye : À
ce point-là, peut-être pas. Mais
j'ai souvent été surprise et satisfaite
des choses qu'on avait pu me voler, par exemple
sur Sauve qui peut (la vie). Ah si !
quand j'ai tourné J'ai épousé
une ombre (1982), j'avais l'impression d'avoir
fait un navet total. Je m'attendais à un
fiasco terrible, et ce fut l'un de mes plus gros
succès ! Je l'ai revu longtemps après,
et je me suis rendu compte que j'en avais une
opinion très injuste. Dans le genre, c'était
vraiment réussi ; le personnage était
émouvant, têtu, courageux et paumé.
Je n'avais pas imaginé tout cela lors du
tournage !
Positif :
Vous avez fait ensuite un film étonnant,
Notre Histoire de Bertrand Blier.
Nathalie Baye : Voilà
un rôle insolite et merveilleux, contraire
à l'image qu'on pouvait avoir de moi, et
l'un de mes préférés :
cette actrice un peu larguée, qui va chercher
des types dans les gares, qui est une mauvaise
mère, amoureuse de Darmon... Mais ni La
Balance (1982) ni ce film n'ont eu de répercussions
immédiates. J'étais à un
stade un peu fragile de ma carrière, et
il a fallu attendre, des années après,
un film que j'aime beaucoup, mais dont on a moins
parlé, pour que mon image change vraiment :
Un week-end sur deux (1990), dont le
personnage était également une femme
en danger ; c'est l'un de mes rôles
préférés.
Positif :
Le fait qu'il ait été mis en scène
par une femme est-il un hasard ?
Nathalie Baye : Truffaut
disait très justement que le jour où
on ne précisera plus
« femmes » cinéastes,
alors elles auront leur place véritable.
En revanche, avec les metteurs en scène
qui ont été – ou qui
sont – acteurs, il y a quelque chose
en plus. Comme le dit Nicole : « On
est du bâtiment. » Entre acteurs,
on a un langage commun, on sait par quel biais
aiguiller l'autre vers quelque chose de précis.
Dès la préparation du film, la communication
a été facilitée, et le travail
plus stimulant. J'aimerais un jour mettre en scène
un court métrage, pour travailler avec
des acteurs. Au théâtre, ce sont
les répétitions que je préfère :
c'est totalement magique, car on construit, on
cherche dans tous les sens sans avoir peur.
Positif :
On dit que certains acteurs, comme Gérard
Depardieu, se livrent à la première
prise, et d'autres, comme Patrick Dewaere, à
la dixième. Qu'en est-il de vous ?
Nathalie Baye : En général,
je suis une actrice des premières prises
plutôt que des dixièmes, bien qu'il
me soit arrivé d'en faire plus pour retrouver
quelque chose. Encore une fois, ce qui m'intéresse,
c'est l'adaptation : un metteur en scène
angoissé peut demander beaucoup de prises,
il est angoissé, il ne trouve pas ;
au bout du compte, il prendra peut-être
la première, mais c'est ça qui est
intéressant. Nous sommes des caméléons.
Dans ce cas, il faut arriver à retrouver
l'authenticité d'une première prise
tout en allant vers ce qui peut être demandé
à la quinzième. Par moments, on
peut se perdre. Certains acteurs se perdent vite,
ou perdent tout, ou au contraire gagnent. Si l'on
est absolument avec l'autre, on tient. Si l'on
ne fait que penser à ce qu'on fait, on
perd tout. En définitive, je crois que
cette fameuse « disponibilité »
prime sur tout. À chaque fois que j'ai
tourné avec Gérard Depardieu, ça
s'est bien passé car nous sommes tous deux
des « premières prises ».
Mais sur la première scène du Retour
de Martin Guerre (1981), où il arrivait
épuisé d'un autre tournage, il n'y
arrivait pas, et il est devenu magnifique à
la vingt-cinquième prise ; on a chacun
connu ça. Le tout, c'est d'avoir la discipline,
l'exigence absolue de ne pas lâcher, de
ne pas se contenter de quelque chose qui n'est
pas exactement ce qu'on veut. Ça ne serait
pas rigolo si c'était facile !
Positif :
Certains films récents dénotent
une prise de risque, une mise en danger, comme
Si je t'aime... prends garde à toi
de Jeanne Labrune (1998).
Nathalie Baye : Quand j'ai
accepté le rôle, ça ne m'a
pas paru risqué du tout. J'ai aimé
le scénario, les dialogues, le personnage.
Le tournage n'a pas été facile,
mais c'est un film que j'aime. Non, le vrai risque,
c'est de faire un film en se disant : « Bon,
c'est pas terrible, mais j'y vais parce que ça
va cartonner. » On prend alors trois
risques : celui de s'emmerder, de faire une
daube, et que ça ne cartonne pas !
Positif :
Quel est votre rapport à la comédie ?
Nathalie Baye : Quel plaisir
d'entendre les gens rire, au théâtre !
Ou en projection, comme à certains moments
précis d'Une liaison pornographique.
Le personnage de Vénus Beauté
(Institut) de Tonie Marshall (1998) était
à la fois nostalgique, douloureux et très
drôle ; j'adore ce mélange.
Dans Si je t'aime... prends garde à
toi, il y avait au milieu du film cette scène
plus légère avec Jean-Pierre Darroussin
qui était comme une bouffée d'oxygène ;
cela a donné envie à Jeanne Labrune
de faire une vraie comédie, où je
suis totalement hystérique : Ça
ira mieux demain (2000). La comédie
est plus difficile à jouer que le drame ;
presque tous les acteurs le disent, et je suis
assez d'accord. Et surtout, on rit beaucoup moins
quand on tourne une comédie. Dans La
Chambre verte, on n'a jamais autant ri, avec
François ; Suzanne Schiffman a même
été obligée de nous séparer
et de tourner en champ-contrechamp, car on ne
pouvait plus s'arrêter. Pour désamorcer
le tragique. Alors que, dans la comédie,
on a tellement la hantise de ne pas être
drôle qu'on est extrêmement angoissé !
Positif :
Qu'est-ce qui vous motive le plus au moment d'accepter
un rôle ?
Nathalie Baye : Je n'accepterais
jamais un film pour le personnage, si le metteur
en scène ne m'a pas convaincue de travailler
avec lui... Après, je peux me planter,
mais bon... Le pire, c'est de se retrouver face
à un metteur en scène qui ne sait
pas ce qu'il veut. C'est paralysant. Or les actrices
sont des bulldozers : il faut que ça
avance !
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