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Article
paru dans TÉLÉRAMA n°
2538, le 2 septembre 1998
EST-CE BIEN DÉRAISONNABLE ?
Nathalie Baye
Portrait. Malgré un parcours enviable,
elle devenait prisonnière de son image
de femme douce et sage. Aujourd'hui, elle élargit
son registre.
Par Marie Colmant.
Dans les salons cramoisis
d'un grand hôtel parisien, c'est à
peine si on la remarque. Pourtant, quelque chose
de lumineux irradie de cette petite silhouette
dans le cocon strict de son imperméable
mastic. Peut-être cet éclat dans
le sourire qui renvoie comme un écho du
regard doré. Nathalie Baye est comme ça :
une apparence réservée qui ne demande
qu'à s'évader. On le sent à
son rire. À cette façon qu'elle
a aussi de s'animer au souvenir du tournage de
La Chambre verte, de François
Truffaut. « Ça paraît
difficile à croire, le film se passe presque
entièrement dans un cimetière et
pourtant, parfois, on évitait de croiser
nos regards tellement nos fous rires étaient
irrépressibles. » Ou
encore de s'emballer pour la performance de Shirley
MacLaine dans Comme un torrent, « vous
savez, le film où elle a un lapin en peluche
en guise de sac à main. Je pourrais le
voir des dizaines de fois rien que pour elle. »
Muriel, la femme qu'elle campe dans le film de
Jeanne Labrune, Si je t'aime... prends garde
à toi, est un peu ce volcan assoupi
qu'on devine dans la personnalité de l'actrice.
« Ce qui m'intéresse
dans un film, c'est qu'il est né du rêve
d'un cinéaste. Le rêve de Jeanne,
j'ai eu envie d'y entrer parce qu'il venait d'une
belle personne. »
C'est un retour de première classe pour
une comédienne dont la carrière
flottait depuis quelque temps. « Jeanne,
je lui suis reconnaissante de m'avoir redonné
du plaisir au cinéma, avec tout ce que
ça englobe, bien sûr, de douloureux. »
Ce quasi-huis clos qui grimpe jusqu'à des
sommets de violence émotionnelle, voire
de violence tout court, n'a pas effrayé
Nathalie Baye. « C'est vrai,
ils sont prêts tous les deux à aller
très loin, pour voir. Mais ils savent aussi
que ça ne sert à rien de couler
ensemble, tout le monde sait que ça ne
sert à rien. C'est ça, le courage,
c'est de savoir garder sa dignité. »
Ce rôle, forcément, va étonner
ceux qui s'accrochent encore à l'image
que lui a tricotée le cinéma français.
La femme douce, rassurante, sympa, c'était
elle. Mais, à force de sagesse, on la perdait,
et elle se perdait aussi. « C'est
curieux, cette histoire d'image, ça échappe
à tout contrôle. Pourtant, je suis
sortie du Conservatoire en présentant La
Putain respectueuse, Les Jeux de l'amour
et du hasard et La prochaine fois je
vous le chanterai. Difficile de faire plus
diversifié... »
Dans Un week-end sur deux (1992), le
premier film de Nicole Garcia, on découvre
pourtant, dans un rôle de mère de
famille qui disjoncte pour garder son fils, la
part obscure que l'actrice est capable de livrer.
Elle est la même mais dans une version décalquée,
comme si elle avait pris le parti de pervertir
de l'intérieur ces personnages de femmes
bien sous tous rapports.
Pour autant, Nathalie Baye n'a pas à rougir
de sa filmographie, qui ferait crever d'envie
n'importe quelle jeunesse : Pialat, Truffaut,
Godard (deux fois)... Le cinéma est pourtant
arrivé par hasard dans la vie d'une jeune
fille qui se destinait à la danse. « Enfin,
n'exagérons rien, j'ai fait de la danse
parce que j'étais dyslexique. Mais mes
parents, qui étaient peintres, ne voulaient
pas que ce soit un passe-temps de jeune fille
bien. Ils m'ont dit : "Si tu en fais,
tu en fais à fond." Et croyez-moi,
pratiquer la danse à fond, ça ne
vous laisse pas le temps de rêver... Je
me souviens, quand je préparais le tournage
du Pialat [La Gueule ouverte], les gens
me disaient que j'allais déguster. En fait,
à côté des profs de danse
russes qui vous flanquent des claques dès
que vous adoptez une mauvaise position, c'était
de la rigolade. »
Avec une copine, Nathalie Baye part danser à
New York pendant un an. « Et
puis, dit-elle, on a commencé à
enchaîner avec des tournées de merde. »
Sans vraiment savoir pourquoi, elle s'inscrit
au cours Simon, qu'elle suit en dilettante. Mais
quand Paul Morand passe pour trouver une lectrice
à sa femme aveugle, c'est elle qui est
désignée, et qui se rend deux fois
par semaine chez l'écrivain. « Un
jour, le père Simon, qui était un
homme extraordinaire, m'a prise à part
et m'a dit : "Arrête de travailler
et je te présente au Conservatoire."
Voilà. »
Quand elle en sort (même promotion qu'André
Dussollier et Jacques Villeret), c'est pour le
théâtre. « Le
cinéma, je pensais que c'était réservé
à des "physiques" »,
précise-t-elle. Jusqu'à ce coup
de fil de son agent, Serge Rousseau, qui lui demande
de se présenter à un casting pour
La Nuit américaine, de Truffaut.
« Quand j'ai su que j'étais
prise, je me suis précipitée dans
une cabine téléphonique et j'ai
fondu en larmes. »
Au début du tournage, elle panique un peu :
« Je jouais le rôle d'une
scripte, alors je n'arrêtais pas de regarder
la scripte. C'est normal, quand on débute,
on a tendance à s'appuyer sur des choses
vécues. Maintenant, j'aurais l'impression
d'être maso si je faisais appel à
des souvenirs douloureux de ma vie pour pleurer
dans un film. Et puis j'ai un atout formidable,
comme tous les acteurs, je dispose de plusieurs
mémoires, celles de tous les personnages
que j'ai joués. »
Nathalie Baye aime passer ses dimanches à
lire dans le silence. « Pour
me recharger, car c'est un métier très
physique, très exposé. »
En ce moment, elle est plongée dans la
correspondan ce de Flaubert. Elle a fait sienne
cette phrase, écrite à Louise Collet :
« L'avenir nous tourmente,
le passé nous retient, c'est pour ça
que le présent nous échappe. »
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