Article paru dans PARIS MATCH, printemps 98 (extraits)


Propos de Nathalie Baye recueillis par Henry-Jean Servat
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La carrière d’une actrice ne suit jamais une trajectoire linéaire. Elle est faite de hauts et de bas, de trous et d’angoisses, de lumières et de doutes, de flottements et de changements. En fait, contrairement aux apparences, je n’ai pas cessé de travailler. Au théâtre d’abord. Et il ne faut pas croire qu’un acteur monte sur les planches parce qu’il n’a rien d’autre à faire. Moi, j’aime jouer. Je suis ainsi partie en tournée avec La Parisienne. Au cinéma ensuite. J’ai tourné un film en Grande-Bretagne et, plus récemment, trois films en France. Paparazzi d’Alain Berberian, Si je t’aime, prends garde à toi de Jeanne Labrune et Vénus Beauté institut de Tonie Marshall.
Je n’ose jamais demander à un metteur en scène pourquoi il m'a engagée. Je trouve ainsi drôle qu’on ait pensé à moi pour jouer dans une histoire d’amour passionnelle, fulgurante et audacieuse comme celle qu’a filmée Jeanne Labrune. Je trouve pareillement drôle de jouer le rôle d’une esthéticienne allumée et originale pour Tonie Marshall.

Je crois profondément que beaucoup de gens se trompent à mon sujet. Je suis quelqu’un de foncièrement timide. On me dit souvent que j’ai l’air de toujours savoir ce que je veux. C’est faux. Je parle beaucoup. Ce doit être une protection pour cacher mes faiblesses. Je n’ai pas, contrairement à ce que vous pouvez vous imaginer, une confiance absolue en moi. Ma force vient du fait que je suis une actrice, qui, faisant son métier, ne s’appartient plus vraiment. Pour mon équilibre, j’ai besoin de jouer. Comme tout le monde, je ressens des peines et j’éprouve des chagrins mais, au moment de jouer, tout disparaît. Je suis beaucoup moins forte que j’en ai l’air, c’est vrai, mais j’ai envie de me montrer solide : c’est une forme d’élégance. Je n’ai rien d’un bulldozer, même si je possède de la volonté et du courage. À la longue, j’ai fini par me forger une petite armure mais je reste profondément démontée par l’injustice et par la mauvaise foi.

On ne contrôle pas l’image qu’on dégage. J’ai certainement joué des héroïnes rangées et mélancoliques mais cette période me paraît close. J’aurais adoré jouer beaucoup plus de rôles de femmes gaies, ce que je suis dans la vie. On ne me les a pas proposés. Maintenant, je vois plus venir à moi des rôles de femmes passionnées, foldingues, voire givrées.

J’adore mon métier que je n’envisage pas une seule seconde d’arrêter, mais avant d’être une actrice, je suis une femme. Et, toujours, j’ai fait passer ma vie privée en premier. Je vis peut-être en bourgeoise mais je pense en artiste. Beaucoup font le contraire. La seule chose que j’ai vraiment voulue dans mon existence a consisté à ne jamais rentrer dans un moule. Je suis sûre d’être franche et de ne pas m’économiser. Je revendique tout de et dans ma vie. Elle est cohérente avec ce que je suis. Le métier d’actrice est très dévorant, aussi faut-il mettre des barrières et ne pas tout vouloir étaler de ses moindres faits et gestes de façon inconsidérée. Il y a une vie à côté du cinéma. Il y a une vie avant et après le cinéma. En jouant, on se vide de tout. Il faut constamment se recharger. Le cinéma c’est bien beau mais, à côté, il y a la vraie vie. Dans l’existence, au quotidien, je joue à tout sauf à l’actrice. Je ne cherche pas à provoquer. Je mène ma vie avec un sens du secret qui m’est cher et nécessaire.

Je ne sors pratiquement jamais à Paris. Cela me barbe. Je ne vois que les gens qui me plaisent. Je m’occupe de ma fille. Nous partons souvent ensemble. Seules toutes les deux. J’adore la campagne. Je passe beaucoup de temps, et pas forcément en ermite solitaire, dans la Creuse, où j’ai une maison. Je suis friande de rencontres et de voyages. De livres nouveaux et d’amis anciens. Par exemple, je me régale de lire et de relire les ouvrages qui m’enchantent et j’ai toujours, depuis l’enfance, les mêmes amis. Ce qui n’est pas courant.
Pour garder le désir, il faut, comme l’écrit Flaubert, éviter l’ennui. C’est ma préoccupation constante. Nous vivons dans une société dans laquelle tout s’émousse, tout s’amenuise et tout se perd. Mon souci premier consiste précisément à garder le désir comme une flamme qui parfois vacille mais jamais ne s’éteint. Pour cela, j’ai décidé de ne pas me brader. D’être utilisée pour ce que je sais faire. À la fois me garder et me donner. Le seul luxe que je recherche pour moi et que je prône pour les autres consiste à être toujours en accord avec soi-même.