Article paru dans LE MENSUEL DU CINÉMA n°3, février 1993


Entretien avec NATHALIE BAYE
QUAND LE DÉSIR S'EFFRITE....

Propos recueillis par Danièle Parra.

Nathalie Baye occupe depuis vingt ans une place originale dans le cinéma français. Star sans tapage, elle a marqué les années 80 pour occuper ensuite une place plus discrète, étayée de rôles souvent ambitieux fort éloignés de cette étiquette de femme sage qui la poursuit injustement. Énergique et passionnée, elle exprime dans Mensonge la volonté farouche et le profond désarroi d'une femme confrontée à une trahison fatale. Un beau personnage qu'elle campe avec grâce et exaltation.

Le Mensuel du Cinéma : Pourquoi le scénario de Mensonge vous a-t-il séduite ?
Nathalie Baye : Je trouvais que c'était un beau rôle avec de vraies émotions, des points forts, des moments très violents et des sentiments douloureux. Toutes ces choses à exprimer m'intéressaient et j'ai eu envie de les jouer. Je ne connaissais pas François Margolin, j'avais vu son court métrage, Elle et lui, qui m'avait amusée. Je n'aime pas fatalement les films basés sur un problème social, mais là, deux thèmes étaient développés, celui bien entendu du sida mais aussi celui du mensonge. Cette histoire abordait ces questions sans s'enfermer dans un ghetto particulier, ni dans un milieu homosexuel, ni dans celui des drogués. Quand on vit une injustice atroce comme celle d'Emma dans le film, il se produit une période d'abattement, suivie d'une réaction de grande colère et de rage. Le scénario était écrit d'une manière intéressante, en développant cette colère qui la pousse à faire une enquête sur la vie de son mari, une jalousie rageuse, peut-être ridicule, mais qui lui permet de s'en sortir. On trouve aussi dans Mensonge une espèce d'observation de ces couples modernes qui semblent vivre dans la transparence, la liberté et la confiance. Il est assez représentatif des couples des années 90 avec ce que cela peut comporter de dangereux. Je n'ai pas essayé de faire passer un message dans ce film, j'ai simplement eu envie de faire passer toutes ces émotions.

Le Mensuel du Cinéma : Dans le film, le sida représente non seulement une menace mais aussi un élément dramaturgique, un détonateur du mensonge...
Nathalie Baye : Oui, à propos de ce film j'ai plus envie de parler du mensonge et de la trahison que du sida. D'abord parce qu'il y a eu un film il y a peu de temps sur le sida, que les médias s'emparent vite des choses pour les rejeter ensuite et que cela peut être assimilé à un phénomène de mode. Mensonge s'est tourné avant Les nuits fauves.

Le Mensuel du Cinéma : Le film évite le côté mélodramatique en adoptant une certaine distance et en intégrant des scènes carrément drôles...
Nathalie Baye : Oui, c'était vraiment une volonté de notre part. Il était important de ne pas tomber dans le larmoyant. Personne n'est à l'abri de ce qui arrive à cette femme et l'être humain a un ressort incroyable face aux coups durs de la vie. Le film développe cet aspect positif. Il se base aussi sur les relations humaines entre les personnages, sur l'évolution de cette femme. Tout le monde sur le tournage était conscient des pièges dans lesquels on pouvait tomber en abordant un tel sujet et nous avons été vigilants.

Le Mensuel du Cinéma : Vous avez dit que vous aimiez vous sentir dirigée par un metteur en scène et qu'avec Godard, vous avez appris à être un peu comme une page blanche avant un tournage.
Nathalie Baye : Oui, j'ai horreur d'être obligée de tenir le gouvernail quand je sens qu'un metteur en scène ne sait pas diriger les acteurs. J'aime être prise en charge. Quand il m'arrive de ne pas me sentir dirigée, je suis très malheureuse. J'aime être utilisée comme un outil en essayant d'être le meilleur violon qui soit. J'adore travailler avec Godard. Je n'aime pas systématiquement ses films mais les acteurs y sont toujours bons. Avec lui, Brigitte Bardot n'a jamais été aussi géniale, de même Anna Karina. Il a une façon unique de filmer les gens avec justesse. Il arrive à nous mettre dans un tel état qu'il réussit à gommer toutes les petites choses auxquelles l'acteur se rattrape quand est ma à l'aise. Il nous rend authentiques, nous enlève nos petits "trucs". Quand il filme un visage, il arrive à capter ce qu'il a envie de capter sans artifice.

Le Mensuel du Cinéma : Travailler avec lui a-t-il enrichi votre technique ?
Nathalie Baye : Oui, dans la mesure où je me suis rendue compte que la chose la plus importante, en dehors du travail sur un rôle, ce qui est relativement facile à faire, demeure la disponibilité. Et c'est la chose la plus difficile à atteindre. Il m'a appris à être à l'écoute sur un plateau. Je me souviens qu'au début de Sauve qui peut (la vie), je bouillonnais d'impatience de jouer. Peu à peu je me suis détendue, j'ai adopté une sorte de rythme après avoir été agacée. J'étais devenue le personnage que Godard souhaitait sans avoir à le fabriquer. J'avais appris à être cette page blanche.

Le Mensuel du Cinéma : Comment voyez-vous l'évolution de votre carrière, très foisonnante dans les années 80, puis plus discrète ?
Nathalie Baye : Je n'ai pas envie de dire qu'il y a moins de rôles intéressants pour les femmes car on l'a tellement répété ! Je pense que le cinéma est en train de se modifier, qu'il faut faire attention de ne pas sombrer dans la morosité en se plaignant. Comme dans toute carrière, j'ai eu des périodes riches et d'autres plus calmes. Après J'ai épousé une ombr", je suis restée plus d'un an sans travailler, puis cela a redémarré. J'ai toujours eu ces hauts et bas. J'ai un défaut, je ne provoque pas assez les situations, j'attends que cela arrive. Nous sommes à une époque où il faut provoquer les désirs, je suis un peu en retrait, un peu marginale. On ne peut pas envisager une carrière, cela fonctionne sur le désir des autres, sur vos humeurs, sur des rencontres. J'aimerais bien me secouer un peu, être plus combative. J'aimerais faire des comédies drôles parce que j'adore rire. J'ai envie de faire régulièrement du théâtre. J'ai envie de jouer des personnages assez violents, celui de Mensonge l'est. J'ai envie de rester en accord avec moi-même et garder le plaisir de jouer. Il faut faire attention parce que, dans tous les domaines, le désir s'effrite, il y a une espèce de petite morosité qui s'installe. Il faut garder de l'enthousiasme et du désir. Il ne faut pas accepter les choses pour de mauvaises raisons, ne pas accepter des films parce qu'il faut tourner à tout prix.

Le Mensuel du Cinéma : Malgré la variété de vos rôles, une étiquette vous colle à la peau : celle de la femme douce, sage, sérieuse. Image acquise à l'époque d'Une semaine de vacances et de La provinciale...
Nathalie Baye : J'en ai eu ras-le-bol à un moment de ces rôles quotidiens, mais même en changeant de registre, j'ai gardé cette image. Malgré La balance ou Notre histoire. C'est terrible. Au début, cela agace et révolte, on essaie de s'en défendre, de se justifier, on essaie de prouver que c'est faux, que la réalité est à l'opposé. À un moment, on se rend compte que cette image demeure, on ne peut rien y faire. Il serait ennuyeux qu'on ne me propose pas ce que j'ai envie de faire à cause de cette image-là.

Le Mensuel du Cinéma : Vous pouvez jouer avec cette image dans vos rôles, montrer au début d'un film cette assurance tranquille et faire apparaître progressivement des fêlures, des zones d'ombre comme dans Mensonge...
Nathalie Baye : Oui, cela a cet avantage. Il y a ce côté sécurisant que les spectateurs peuvent reconnaître, je pourrais être leur voisine ! Donc le public peut s'identifier relativement vite et je peux donc l'entraîner ailleurs plus facilement parce qu'il me voit comme un personnage quotidien. C'est finalement une manière pratique de m'en servir et de détourner cette image si loin de moi. Dès mes débuts, j'ai refusé la notion d'emploi. Au concours du Conservatoire j'avais présenté La putain respectueuse et Le jeu de l'amour et du hasard. Les membres du jury ne comprenaient pas bien ! J'ai envie de rôles extrêmes, très différents. À la limite j'aimerais jouer le rôle d'un homme.

Le Mensuel du Cinéma : Vous avez trouvé un de vos plus beaux rôles dans Un week-end sur deux de Nicole Garcia.
Nathalie Baye : J'ai beaucoup aimé jouer ce personnage. Cette femme qui n'est pas une bonne mère, qui est un peu braque, qui part avec ses enfants à la dérive. Elle est vulnérable, un peu à côté. Nicole s'est battue avec raison pour que je trouve la tonalité du personnage. Dans la vie je suis impulsive, rapide dans mes gestes. Or elle voulait que ce personnage soit assez lent, il m'a fallu changer tout mon rythme, ma gestuelle. C'est intéressant d'être dirigée par un acteur qui trouve les mots et la manière justes. Il y a un langage commun, une complicité profonde.