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Article
paru dans
les CAHIERS DU CINÉMA numéro
434, juillet-août 1990
Entretien réalisé
par Frédéric Strauss. |
Cahiers du
cinéma : On sent qu'entre
vous et Camille la rencontre a été
forte. Comment s'est-elle passée ?
Nathalie Baye : Lorsqu'elle
m'a proposé le scénario, Nicole
est venue ici, chez moi, elle a voulu me raconter
le film. J'ai horreur qu'on me raconte un scénario,
je préfère le lire et en parler
éventuellement avec le metteur en scène.
Nicole s'est installée, elle s'est nichée
dans un coin du salon et elle a commencé
à m'embarquer dans son imagination et,
en l'écoutant, je voyais tout, les lieux,
les enfants, la route, le froid, l'angoisse, l'émotion,
je voyais Camille.
Cahiers
du cinéma : Vous n'avez pas
eu peur que cette précision vous prive,
au fond, d'une certaine liberté ?
Nathalie Baye : Non, Nicole
m'a surtout donné la couleur des choses ;
ce qui m'intéresse c'est d'entrer complètement
dans l'univers de la personne avec laquelle je
travaille et il y a des univers qui m'intéressent
plus que d'autres, c'est certain. C'est une actrice,
Nicole, et de temps en temps, pour chercher comment
elle allait mettre en images ce qu'elle voulait
raconter, elle évoluait sur le plateau.
Moi je voulais la suivre mais je ne voulais en
aucun cas entrer dans le côté copie
et je lui disais : « Arrête !
Arrête ! », c'était
drôle. On a réussi à nous
deux à faire un personnage qui n'est ni
tout à fait elle ni tout à fait
moi, et qui est Camille.
Cahiers
du cinéma : Vous avez essayé
d'imaginer ce qui lui était arrivé
avant le début du film pour entrer dans
sa logique ?
Nathalie Baye : On en a
un peu parlé avec Nicole. J'ai inventé
un passé à Camille. Elle a certainement
aimé son mari, elle a eu deux enfants et
puis ça ne collait pas, c'est la vie, et
ils se sont séparés. Ce passé
est assez présent dans le film, quand même.
Il y a ce petit film vidéo que je trouve
très beau, on sent que c'est une femme
qui a eu du succès, elle a été
aimée, il y a une nurse pour les enfants,
on comprend que sa vie a été très
structurée et certainement trop réglée
pour elle. Elle était comme un oiseau qui
ne peut pas étendre ses ailes ou qui essaie
de voler ailleurs. Elle n'arrive pas encore à
voler mais il y a au moins une chose positive,
c'est qu'elle n'a pas les ailes coupées.
Cahiers
du cinéma : Comment vous
êtes-vous préparée à
jouer Camille ?
Nathalie Baye : Il y a eu
une préparation physique pour les figures
de gymnastique sur la plage, mais ce n'était
pas grand-chose. Il y a eu un vrai travail sur
l'apparence de Camille, on m'a foncé les
cheveux. Il fallait que ça bouge, qu'à
certains moments Camille soit laide et belle à
d'autres. Il y a surtout eu beaucoup de dialogues
avec Nicole. Je l'ai observée, elle m'a
nourrie. Je lui ai fait une confiance absolue
et je crois qu'elle m'a fait aussi une grande
confiance. J'essayais d'être totalement
malléable pour aller vers ce qu'elle voulait.
Nous étions très concentrées
pendant le tournage qui était assez dur,
être sur les routes avec des petits enfants
était toujours intense, avec des problèmes
de temps et de plan de travail qui venaient s'ajouter.
C'était tendu dans le bon sens du terme
et on a rapidement été rassurées
car on a senti qu'on était embarquées
dans le même voyage.
Cahiers
du cinéma : On a l'impression
que Camille est un rôle qui demande davantage
une capacité de dépouillement qu'une
technique de construction. Est-ce dans ce sens
que vous avez orienté votre travail ?
Nathalie Baye : Dès
le début, il faut sans cesse parler et
se renifler entre metteur en scène et comédien
et, quand on vous propose un rôle aussi
beau, il faut être très humble pour
pouvoir se glisser à l'intérieur.
On est envahi par le personnage, par sa manière
de bouger et on se laisse aller dans son histoire.
On peut vous demander n'importe quoi, le personnage
vous appartient. Enfin, j'appartenais plus à
Camille qu'elle ne m'appartenait. Je n'ai pas
essayé de contrôler les choses. Je
me donnais à ce rôle. Je n'étais
pas passive, ce qu'on me demandait, c'était
de me vider pour entrer dans ce personnage. C'est
ce que Godard m'a appris, être totalement
disponible, c'est un nettoyage. Cela m'intéresse
de me vider, c'est très revalorisant aussi.
Cahiers
du cinéma : Le risque c'était
sans doute aussi, pour vous, de changer de respiration,
de ne plus avoir la même vivacité...
Nathalie Baye : Casser mon
rythme a été l'exigence la plus
dure mais c'est passionnant. Je suis formée
par la danse et c'est fou ce que la danse, à
force de former, peut vous déformer. Cela
vous contraint à la volonté, à
la dureté et à une violence, il
faut progresser vite parce qu'à trente-cinq
ans votre carrière est terminée.
Sans être lymphatique, j'aurais sans doute
été d'une nature très flemmarde
si je n'avais pas été formée
ainsi pendant des heures depuis l'adolescence.
Cela m'a donné un rythme, une efficacité
pratique. Camille, c'est tout le contraire :
elle ne sait pas faire un paquet cadeau, elle
perd son sac, les choses lui échappent.
C'est formidable pour un acteur d'être dirigé
par un metteur en scène qui a une idée
totalement précise de ce qu'il veut, de
ce qu'il désire tout en étant suffisamment
intelligent pour ne pas être obtus et se
laisser séduire par une idée qu'on
peut lui proposer.
Cahiers
du cinéma : La dimension
physique du personnage est très forte.
Vous semblez totalement à l'aise dans ce
type de présence, c'est naturel ?
Nathalie Baye : Nicole tenait
beaucoup à ces rapports physiques, presque
charnels, de Camille avec ses enfants. Elle n'est
peut-être pas tout à fait bien dans
sa tête mais elle est bien dans son corps.
Et c'est quelque chose qui m'est très naturel,
justement parce que j'ai fait de la danse. Ces
roulades sur une plage, je les ai faites avec
ma fille. Camille, elle, en fait trop. Et parfois
elle n'en fait pas assez, elle est toujours décalée
et elle a besoin de se mettre régulièrement
dans des situations presque dangereuses pour pouvoir
oser exprimer ce qu'il y a en elle.
Cahiers
du cinéma : Ce que sa présence
physique peut avoir de sexuel reste très
secret et ça lui donne une vraie légèreté.
Nathalie Baye : On sent
que c'est une fille qui peut vite déraper,
qui peut avoir une relation avec un homme pour
un soir, elle est seule et elle peut avoir besoin
d'une chaleur physique. Nicole voulait cette sensualité
et elle a coupé la scène où
Camille, sans qu'on voit rien d'ailleurs, faisait
l'amour avec le saxophoniste. Elle a eu raison,
là on peut imaginer, il revient au moment
de la répétition, il lui dit :
« Ça va ? Ça va ? ».
J'ai rarement tourné un film sans repenser
à La Nuit américaine de
Truffaut, où j'avais un petit rôle
de script-girl. Il y a toujours des choses qui
me ramènent à ce film, j'ai même
vécu un tournage où un acteur est
mort, comme dans La Nuit américaine.
À un moment Jacqueline Bisset fait l'amour
avec Jean-Pierre Léaud, comme ça,
un soir. Et le lendemain il appelle le mari de
Jacqueline Bisset pour lui dire qu'il a couché
avec sa femme, il fout un bordel impossible et
elle lui dit : « Tu n'as rien
compris ». Elle a fait l'amour avec
lui parce qu'ils étaient ensemble depuis
un mois et demi sur le tournage et qu'il allait
partir, c'était un moment de tendresse
sans conséquence.
C'est une femme indépendante. Enfin, ça
peut choquer, les gens diront : « Quoi ?
Les actrices ça fait l'amour comme ça
sans prévenir ! », disons
que c'est l'image de la liberté d'une actrice,
tout le monde n'est pas comme ça mais Camille
sait, comme le personnage de Jacqueline Bisset,
ne pas mélanger le plaisir et la morale.
Cahiers
du cinéma : Camille n'arrive
pas à trouver la bonne distance avec ses
enfants. Comment vous sentiez-vous, en tant qu'actrice,
face à eux ?
Nathalie Baye : Quand on
tourne pendant dix semaines face à deux
enfants, on ne peut absolument pas se baser sur
le côté strictement authentique et
naturel du jeu parce que face à eux, on
perd. Je me souviens de la première scène
de Witness où Harrison Ford se
retrouve face à un petit garçon,
il joue professionnellement le naturel et il se
plante complètement parce que le gosse
est parfait sans rien faire. Face à un
enfant, il faut que le personnage que l'on joue
soit rigoureusement structuré, qu'il y
ait une concentration absolue même si c'est
un personnage totalement décousu, il ne
faut jamais sortir de la logique du rôle.
J'ai aimé profondément les deux
enfants du film, je suis entrée dans leur
jeu, je n'étais pas distante mais il fallait
être totalement vigilante car ils peuvent
vous dévorer et vous déconcentrer.
Cahiers
du cinéma : Il n'y a guère
que le regard de ses enfants qui touche et intéresse
Camille, elle se fout de tous les autres...
Nathalie Baye : Elle est
ailleurs, elle est extrêmement vulnérable
et en même temps rien ne peut l'atteindre.
Ce que j'aime, c'est qu'on ne porte pas de jugement
sur les personnages. Il n'y a pas de bonne ou
de mauvaise mère, il y a des mères
qui savent y faire et d'autres non. Ce n'est pas
dit de manière dure mais simplement abrupte.
C'est un des plus beaux rôles que j'ai eu
à jouer, c'est rare un personnage comme
ça, à la fois déconcertant
et parfaitement construit.
Cahiers
du cinéma : Vous jouez souvent
seule dans le film, sans vraiment donner la réplique,
sans partenaire à qui renvoyer la balle.
Était-ce difficile ?
Nathalie Baye : Quand un
personnage est mal ou moyennement écrit,
on a besoin de lui rajouter des tas de choses.
Avec elle, je pouvais naviguer. Elle est tellement
pleine de contradictions, de plaisir et de douleur,
elle va tellement dans toutes les directions,
c'est très dense. Cela dit, quand je voyais
un acteur professionnel arriver, j'étais
très contente parce que le tournage était
parfois épuisant. Dans les rues de Madrid,
quand elle marche à la recherche de son
fils, c'était dur. Les metteurs en scène
sont assez fascinés par les acteurs et
en même temps ils sont terriblement inquiets
face à eux. Le fait que Nicole soit une
actrice simplifiait considérablement les
choses.
Cahiers
du cinéma : Il y a un moment
très surprenant dans le film, quand Camille
se met à rire au gala du Rotary Club. C'était
écrit dans le scénario ?
Nathalie Baye : Non, ce
n'était pas prévu. On sent que c'est
douloureux pour Camille parce
qu'elle n'a pas le choix, on comprend que ce n'est
pas la première fois qu'elle doit faire
ça. Cette scène me coûtait
un peu, parler devant les gens qui faisaient la
figuration, répéter les mêmes
mots, tout cela était assez angoissant.
Je ris facilement dans ces moments d'hypersensibilité
et, en tournant cette scène, j'ai eu un
fou rire impossible à contrôler.
J'ai vu que Nicole ne coupait pas et j'ai continué
comme je pouvais, c'était terrible.
Cahiers
du cinéma : L'image de cette
actrice dans un rôle d'animatrice de gala,
justement, est terrible.
Nathalie Baye : Il y a beaucoup
d'acteurs qui font ça pour avoir plus d'argent,
j'imagine, mais il y en a aussi qui font ça
pour ne pas faire quelque chose d'encore moins
intéressant. Je me dis toujours que si
ça ne marchait pas professionnellement
pour moi, je n'aurais jamais le courage de faire
ce genre de choses parce que ça demande
une très grande solidité. Les acteurs
sont souvent des hommes assez fragiles et l'actrice
c'est quelqu'un qui peut, par moments, vivre un
peu comme un homme. Il faut beaucoup de force
pour jouer dans un film, les actrices qui sont
soi-disant très fragiles sont aussi fragiles
mais ce sont des buldozers.
Cahiers
du cinéma : Un week-end
sur deux, c'est un grand rôle mais
c'est aussi un premier film. Vous n'appréhendiez
pas ce côté-là de l'aventure ?
Nathalie Baye : J'ai eu
confiance parce que je sentais que Nicole avait
vraiment quelque chose à raconter, qu'il
y avait une nécessité pour elle
dans son film. Seule une actrice, ou un acteur,
peut être assez gonflée, pour demander
à un autre acteur de se lancer dans un
rôle comme celui-là. Les acteurs
font confiance aux autres acteurs parce qu'ils
savent leur parler et ils n'ont pas besoin de
passer par des trucs racoleurs qui sont censés
les rassurer. Sur le tournage, Nicole est vraiment
devenue metteur en scène. Moi, je me protège
beaucoup, j'ai toujours besoin d'un endroit silencieux
où je peux être seule, je me couche
très tôt. Nicole, elle, se brûlait
à tous les feux, elle allait jusqu'au bout,
elle était avec son équipe, elle
n'était plus du tout comédienne
pendant le tournage.
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