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Article
paru dans CINÉMA
n° 282, juin 1982
Dix ans de carrière
cinématographique. Dix-neuf films
pratiquement tous français avec presque
autant de réalisateurs que de films.
C'est, en chiffres, ce qui caractérise
une actrice qui s'impose lentement mais
sûrement. derrière son fameux
sourire se cache une personnalité
attachante. Nous lui avons demandé
de nous la révéler un peu
Entretien avec Gaston Haustrate. |
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Cinéma : Votre filmographie fait
apparaître qu'à part votre tout premier
rôle dans Two people de Robert
Wise, vous n'avez tourné qu'avec des réalisateurs
français, tous différents d'ailleurs,
si l'on excepte Truffaut (trois collaborations).
Hasard ? Choix ? Volonté systématique
?
Nathalie Baye : Hasard. Les propositions
venant de l'étranger ne m'ont jamais séduite
assez pour que je les accepte. Je n'ai pas de
préjugé, ni dans un sens ni dans
l'autre. Je ne participe pas de ce courant qui
veut que le cinéma d'ailleurs est forcément
supérieur à celui d'ici. Il se fait
de très beaux films aux USA. Mais aussi
de très mauvais. En fait, j'aime voyager,
je parle deux langues, je suis naturellement curieuse
et il ne me déplairait pas d'avoir à
me plonger dans une autre culture, un autre univers
que celui de la France. Voilà déjà
dix ans que je fais du cinéma. Je n'ai
tourné que des rôles, si minimes
soient-ils, pour lesquels je me sentais motivée.
Je n'ai jamais accepté un rôle par
calcul, avec des arguments du type « ça
va servir ma carrière ». Je
ne pourrais pas être heureuse en travaillant
de la sorte. J'ai besoin de participer avec passion.
Même quand ma participation est des plus
modestes, ce qui fut le cas de la moitié,
au moins, des 19 films que j'ai tournés.
Cinéma
: Martin Guerre est la première
œuvre de votre filmographie où il
vous faut endosser l'habit et la psychologie d'un
personnage qui ne soit pas contemporain. Cela
vous a-t-il posé des problèmes ?
Nathalie Baye : Ça n'est
pas parce que ce personnage est situé au
XVIème siècle qu'il est forcément
plus loin de moi. C'est un personnage qui m'a
totalement séduite. Et qui, quand je l'ai
abordé, m'a d'abord procuré une
peur assez grande : l'idée que cette femme
avait existé, sa puissance de caractère,
son courage, voire sa folie m'incitaient en quelque
sorte à la défendre. Le tournage
m'a beaucoup aidé à la comprendre.
Chaque matin, en arrivant au village, je quittais
mon jean et mes pulls et j'enfilais une lourde
robe de paysanne. Et rien que cela, le costume,
me facilitait les choses. Car, avec ce type d'habits,
vous marchez différemment, vous vous asseyez
autrement, vous respirez d'une autre manière.
Il faut tenir compte que les acteurs sont, par
nature, des gens qui sautent sur toutes les occasions
d'être "autrement", de s'enrichir
des autres. Les acteurs sont des voyous, des voleurs.
Ils confisquent tout ce qui peut les servir. Paradoxalement,
les figurants, paysans du coin, ont mis plus longtemps
que nous à retrouver un naturel d'époque.
Ils étaient moins pressés
que nous à s'intégrer.
Cinéma
: Ces jours-ci on vous a vue à la télé
ou entendue à la radio à propos
de ce dernier rôle. Vis-à-vis de
ce que certains de vos collègues appellent
le "service après vente", comment
vous situez-vous ?
Nathalie Baye : Je ne refuse
jamais de participer à la promotion des
films dans lesquels je joue si je suis disponible
au moment de leur sortie. Mais je ne peux pas
dire que j'y prends un grand plaisir. C'est une
participation à sens unique qui ne produit
rien. On donne et on ne reçoit rien en
échange. Ceci dit, je trouve légitime
de la part des producteurs et distributeurs de
nous le demander. Cela s'est toujours fait. Jadis,
au temps des grandes stars hollywoodiennes, c'était
même prévu par contrat. Elles s'engageaient
à consacrer, à la sortie, un ou
deux mois d'activités promotionnelles en
faveur du film. Et puis, aujourd'hui, ce type
de travail ne consiste plus seulement à
fournir les médias en informations diverses.
Il implique qu'on aille discuter avec le public,
en province en particulier. Bien sûr, ce
contact n'a plus la fraîcheur que l'on a,
par exemple, lorsque, au théâtre,
on reçoit les réactions à
chaud, juste après la représentation.
Cinq ou six mois ont passé depuis le tournage.
On est, vis-à-vis du film, déjà
un peu distancié. Reste que bénéficier
des réactions du public est toujours positif.
Après tout c'est lui qui fait le succès
des œuvres. Et puis, cela permet de découvrir
qu'à la limite chacun voit un film différemment.
C'est déjà un peu notre cas. À
la lecture je me fais une certaine idée
de ce que sera le film. Au tournage, je l'envisage
déjà tout autre. Aux rushes, je
l'imagine de façon encore différente.
Et quand je le visionne, je découvre autre
chose. Ces différents stades trouvent une
conclusion, provisoire peut être, dans les
interprétations du public qui ne manquent
jamais de m'étonner. Pour Une semaine
de vacances, par exemple, j'ai été
surprise par la perception diversifiée
que ce film pouvait provoquer alors qu'on aurait
pu penser que son sujet le prédisposait
à une interprétation univoque.
Cinéma
: Vous vous déterminez comment par rapport
aux exigences de vos metteurs en scène
?
Nathalie Baye : Je me veux essentiellement
disponible. Être comme une sorte de pâte
à modeler. M'adapter le plus intelligemment
possible à l'idée qu'a le réalisateur
de son personnage. En oubliant l'expérience
précédente, la méthode différente.
Ma différence aussi. Ce que j'attends,
c'est d'être surprise. Qu'on exige de moi
d'aller jusqu'au bout du possible. Cette disponibilité,
je ne peux la proposer qu'au prix d'une certaine
discipline personnelle, à laquelle je suis
d'ailleurs préparée par ma formation
de danseuse professionnelle – domaine où
règne une discipline d'enfer. Lorsque je
tourne, je me couche tôt, je me lève
tôt, j'évacue le monde. Je m'accommode
volontiers de la solitude. Même en temps
ordinaire d'ailleurs. Pas forcément pour
réfléchir. Mais pour travailler
et rêver.
Cinéma
: Vous venez d'évoquer votre statut de
danseuse professionnelle. Qu'est-ce à dire ?
Nathalie Baye : Originaire de
Paris, je suis née, par hasard, en Normandie.
Après des études primaires à
Menton, je suis entrée, à 14 ans,
sur les désirs de mes parents, dans une
école de danse professionnelle, à
Monaco. Je dois dire que je dansais depuis toujours,
si je peux dire : je crois que mes parents m'ont
fait apprendre la danse dès l'âge
de 4 ou 5 ans, à raison de 4 à 5
heures par semaine. Rythme qui s'est encore accéléré
à Monaco, jusqu'à mon départ
aux USA à 17 ans, où, durant deux
ans, j'ai fréquenté des professionnels
de qualité, à New York. À
mon retour en France, ce furent des tournées,
assez pénibles ; les français vous
le savez, ne sont pas très balletomanes.
Un jour de blues, avec une amie, je suis entrée
par hasard dans un cours d'art dramatique. Je
m'y suis inscrite. J'ai abordé la comédie
avec la constance et la discipline que m'avait
enseignées la danse. Claude Simon m'a conseillée,
présentée au Conservatoire d'où
je suis sortie avec un prix. Ma carrière
a débuté là. Un jour, par
hasard, j'ai rencontré Truffaut qui cherchait
une actrice pour interpréter le rôle
de la scripte dans La Nuit américaine.
Je n'avais que l'expérience d'un tout petit
rôle dans Two people. Ce fut là
le début de ma carrière cinématographique
que j'ai poursuivie parallèlement à
mon activité théâtrale, dont
je ne peux me passer. L'une complète l'autre.
Cinéma
: Et entre l'une et l'autre, comment la personne
privée se défend-elle ?
Nathalie Baye : Je travaille
beaucoup mais je ne me laisse pas bouffer. Je
m'organise en conséquence. Ne serait-ce
que pour échapper aux dangers évidents
de la vie d'acteur, en particulier aux vertiges
de la vanité. Je suis heureusement douée
d'humour, qui est l'arme la plus efficace en ce
domaine. C'est l'humour qui permet la meilleure
distanciation. De plus j'ai une santé physique
et morale singulièrement précieuse
et qui m'aide à résister à
bien des choses. Je vous l'ai dit, je n'ai pas
le souci forcené de ma carrière.
Je vis intensément le présent. Je
fonctionne sur l'instinct. À la fois dans
mon rapport aux autres et en ce qui concerne le
jugement que je porte sur moi-même. Je ne
songe pas à l'avenir, sans doute par crainte.
Le devenir de notre civilisation n'est pas particulièrement
réjouissant. On ne peut y songer sans une
forte angoisse. J'ai eu la chance d'avoir un père
artiste (il était peintre, et un bon peintre)
qui m'a donné l'exemple d'une vie bien
équilibrée, entre le poids du réel
et la force de l'imaginé. Je sais m'impliquer
à fond dans les univers fictionnels de
mes rôles sans me couper de la réalité
sociopolitique qui conditionne ma vie, comme celle
de tous. Parfois le passage de l'un à l'autre
se fait douloureusement. Mais cette douleur elle-même
est précieuse.
Cinéma
: Vous évoquiez tout à l'heure les
dangers du métier. À vos yeux, l'argent
en est-Il un ?
Nathalie Baye : L'argent peut
peser sur la carrière cinématographique,
mais ni plus et ni moins que pour d'autres professions.
Je suis d'un milieu qui professait vis-à-vis
de l'argent une certaine désinvolture.
J'en ai gardé certains réflexes
et aussi un mode de vie : j'ai la chance de ne
pas avoir de gros besoins. Ni passion des voitures,
ni passion des fourrures, ni sens de la propriété
où autres éléments du paraître.
Et puis je suis célibataire. Sans responsabilités
familiales, du moins pour l'instant. Non que je
me refuse à les envisager. Mais parce que
cela ne s'est pas encore présenté.
Il est vrai que, par tempéramment, je suis
assez indépendante. Et qu'une certaine
liberté est nécessaire à
l'exercice de ce métier.
Cinéma
: Votre célèbre sourire, élément
de charme naturel ou expression d'une joie de
vivre ?
Nathalie Baye : Les deux. Je
suis, il est vrai, optimiste de nature, mais d'un
optimisme réaliste. Par ailleurs je me
considère comme une fausse pudique et une
vraie timide. Dans mon prochain film, Bob Swaim,
le réalisateur, a exigé que je m'abstienne
de sourire. Parce que le personnage l'exige, bien
sûr. Et peut-être pour accentuer le
fait que je m'attaque là à un personnage
qui est probablement le plus étranger à
ma personnalité. C'est une expérience
qui me passionne d'avance...
Cinéma
: Êtes-vous cinéphile ?
Nathalie Baye : Oui, par crises.
Lorsque je tourne, aller au cinéma est
rarement possible. Alors, entre deux tournages,
il m'arrive de me gaver un peu. Dans ces périodes,
je vois tout. Sans critères définis.
En m'efforçant d'être une spectatrice
libérée de l'expérience professionnelle.
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