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Article
paru dans PREMIÈRE n°46, janvier
1981
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UNE FEMME DOUCE
NATHALIE BAYE, L' ÉMOUVANTE
PROVINCIALE DE CLAUDE GORETTA
Par Jean-Pierre Lavoignat.
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Quand la
provinciale arrive à Paris, elle est une
victime toute désignée à
l'avidité, l'indifférence et la
sensualité des autres. En faisant la connaissance
de la ville, elle fera l'apprentissage de la vie
à travers une série d'épreuves
qui la mettront en présence de la mort,
de la solitude et de l'amour.Claude Goretta (La
dentellière) a trouvé en Nathalie
Baye l'équilibre de douceur et de fermeté,
de grâce et d'émotion dont il avait
besoin pour le beau personnage de Christine.
Une jeune femme
avance vers la caméra en sifflotant. Plus
elle s'approche et plus le sifflotement devient
fort jusqu'à ce qu'il éclate en
un large sourire. Aussitôt, une étincelle
brille dans les yeux qui se plissent... En un
seul plan – le dernier du film de Claude
Goretta, La provinciale –
c'est tout Nathalie Baye. Ou du moins tout ce
qui, d'emblée, frappe et séduit :
le regard et le sourire. Et ce n'est pas la résumer
hâtivement que de dire qu'elle tient dans
ces deux mots. Bien au contraire. Souvent, le
regard dément le sourire, à moins
que ce ne soit l'inverse. On dirait ces cieux
de mars où les giboulées se mêlent
aux éclaircies ! Il y a en effet, derrière
ces yeux qui se plissent ou cette bouche qui s'ouvre
largement, un voile de gravité, comme l'empreinte
d'une certaine mélancolie. C'est un peu
comme s'ils révélaient et cachaient
tout à la fois, la vraie nature de cette
jeune femme : grave et rieuse, gentille et secrète,
vulnérable et tenace, fragile et déterminée.
Et l'on comprend, grâce à eux, comment
elle a su donner, mine de rien, aux quatre films
qu'elle a tournés en un an (Je vais
craquer de François Leterrier, Une
semaine de vacances de Bertrand Tavemier,
Sauve qui peut (la vie) de Jean-Luc Godard
et La provinciale de Claude Goretta)
un éclat chaleureux, un frémissement
et une générosité assez rares
à l'écran. On la prenait pour une
française moyenne – mère
de famille, prof ou chômeuse selon les films
ou les metteurs en scène – et
l'on s'aperçoit soudain que loin de se
confondre à la grisaille des jours, elle
apparaît comme « un peu de soleil
dans l'eau froide... »
«
Bien sûr, dit-elle, je me sens proche du
personnage de La provinciale, mais ça
n'est pas moi. Ce que j aime beaucoup en elle,
c'est sa rigueur et, malgré sa fragilité,
sa grande force. C'est une femme qui sait dire
non à ce qui ne lui plaît pas. Moi,
je suis pareille ! Si je ne sais pas toujours
ce que je veux, je sais très bien en revanche,
ce que je ne veux pas. Ainsi, je n'ai pas envie
de faire des choses qui ne me plaisent pas, seulement
pour réussir ma carrière. J'ai surtout
envie de travailler avec des gens que j'aime.
Je n'ai jamais essayé de calculer. Pas
plus ma carrière que le reste. Je n'ai
jamais décroché mon téléphone
pour appeler quelqu'un qui aurait pu me procurer
du travail. Les choses se sont faites toutes seules
en une succession de hasards et de coups de cœur.
Après le Conservatoire, il y a eu La
nuit américaine, puis des petits rôles,
puis La chambre verte qui était
un rôle important et tout s'est enchaîné...
»
«
J'ai envie aussi de briser l'image que l'on peut
avoir de moi. Je ne veux pas être enfermée
dans un rôle ou cataloguée : après
La nuit américaine, on ne me proposait
que des rôles de petite rigolote, maintenant
on ne me propose que des rôles dramatiques...
Je ne veux pas jouer dans des "films sociaux"
toute ma vie ! J'ai envie de changer. Déjà
au Conservatoire, je présentais à
la fois des soubrettes et La putain respectueuse,
histoire de montrer qu'on peut ne pas toujours
faire les mêmes choses. Ainsi, dans Les
trois sœurs de Tchékov que j'ai
joué cette année, j'interprétais
le rôle d'une femme épouvantable.
C'était un bonheur de pouvoir enfin jouer
le rôle d'une garce. »
Et Nathalie Baye
éclate de rire. La détermination
de cette femme douée est surprenante. C'est
la même chose que le regard et le sourire
: l'un complète l'autre, apporte des nuances,
le regard au sourire, la douceur à la détermination.
Tout ne se lit donc pas aussi clairement que ce
qu'on aurait pu penser. Et si le sourire était
là comme un jeu, comme une défense
? Comme une manière de ne pas trop se livrer
en se réfugiant derrière lui ? Comme
une manière de ne pas vous laisser pénétrer
dans un jardin privé tout en vous faisant
croire qu'on vous y invite ! Son charme chemine
lentement en vous, et vous vous retrouvez séduit,
ému, bouleversé selon les films
ou selon la conversation avant même que
vous l'ayez souhaité ou redouté
! Aussi attend-on avec un certain plaisir sa participation
dans le film de Bertrand Blier, Beau père,
où elle jouera le rôle d'une virtuose
de piano dont Patrick Dewaere tombera amoureux,
et aussi son rôle de femme mystérieuse
dans le prochain film de Jean-Louis Commolli,
l'auteur de La Cecilia. À dire
vrai, Nathalie Baye charme comme elle mène
sa carrière : à pas lents, mine
de rien. En douceur.
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